Dans le prolongement de la visite menée en juin 2025 à Ankara par Omar Hejira, Secrétaire d’État chargé du Commerce extérieur, le Royaume a accueilli, Mustafa Tuzcu, Vice-ministre turc du Commerce, accompagné d’une importante délégation du secteur privé. Une initiative à même de booster les investissements turcs au Maroc ? Eclairage.
Cependant, l’enthousiasme des opérateurs turcs pourrait être tempéré par le contexte économique de leur pays. Depuis fin 2019, la Turquie est prise dans une spirale inflation-dévaluation qui fragilise son économie. En juillet 2025, l’inflation annuelle est retombée à 33,52% contre 35,05% un mois plus tôt, soit son niveau le plus bas depuis novembre 2021. La tendance s’est confirmée en août avec 32,95%. Certains analystes anticipent une inflation proche de 30% d’ici la fin de l’année, alors que le gouvernement vise 24%. Pour contenir cette flambée des prix, la Banque centrale turque (CBRT) a entamé un cycle d’assouplissement monétaire. Son taux directeur a été ramené de 46 à 43% en juillet et pourrait atteindre 36% d’ici fin 2025, avant de poursuivre sa baisse jusqu’en 2026. Le ministre des Finances, Mehmet Şimşek, se veut confiant : l’objectif est de ramener l’inflation à un chiffre autour de 10% à l’horizon 2027.
Vue du Maroc, ça craint !
La dépréciation spectaculaire de la livre turque a profondément modifié les termes de l’échange avec le Maroc. Lors de l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange en 2006, une livre valait 5,64 dirhams. En septembre 2025, elle ne vaut plus que 0,22 dirham, soit une dévaluation d’environ 25 fois. Résultat : les exportations turques sont devenues beaucoup plus compétitives, fragilisant les producteurs marocains. À l’inverse, les touristes marocains trouvent en Turquie un pouvoir d’achat renforcé, ce qui alimente le flux des départs vers cette destination. Pour l’économiste Abdelghani Youmni, «la nouvelle grammaire du développement repose sur une croissance tirée par la demande extérieure, via l’industrialisation et la création d’emplois de qualité. Or, cela reste difficile avec des partenaires commerciaux unilatéraux comme la Turquie», souligne-t-il. À court terme, le Maroc pourrait perdre entre 0,5 et 1 point de croissance, et à long terme, des milliers d’emplois sont menacés, notamment dans l’artisanat et les petites entreprises. Comparée à d’autres partenaires stratégiques du Maroc, notamment l’Espagne, la France, la Chine ou encore les États-Unis, la Turquie se distingue par des échanges moins équilibrés et un faible niveau d’investissements. Conscients de cette situation, Rabat et Ankara cherchent aujourd’hui à donner une nouvelle orientation à leur coopération. Les deux pays ont convenu de valoriser ensemble leurs produits sur les marchés internationaux à travers des projets de co-production industrielle, notamment dans le textile et les chaînes d’approvisionnement stratégiques. Ils ont également décidé d’organiser, dans un délai d’un an, un Forum maroco-turc de l’investissement et des affaires. Mustafa Tuzcu, lui, a évoqué, jeudi dernier à Rabat, la tenue, en novembre prochain en Turquie, d’un séminaire d’investissement et d’un forum d’affaires pour réunir les opérateurs économiques. Un rendez-vous qui devrait favoriser le dialogue entre opérateurs des deux pays et permettre d’identifier de nouvelles opportunités.
Cette volonté de rééquilibrage intervient alors que le Maroc s’affirme comme la première destination africaine des exportations turques. Au premier semestre 2025, celles-ci ont atteint 1,8 milliard de dollars, soit une progression de 345 millions par rapport à la même période de 2024. Désormais, le Royaume devance des marchés de poids comme l’Algérie et l’Égypte, confirmant sa position de premier partenaire africain de la Turquie en matière d’importations et illustrant l’attractivité de son économie dans un contexte régional en recomposition.
Comment le Maroc doit-il protéger ses intérêts commerciaux dans une telle conjoncture ?
Que pourrait coûter au Maroc l’importation des biens corrélée à un tel niveau d’inflation chez un partenaire commercial ?
De son côté, Tuzcu a fait savoir que la délégation turque, composée de représentants de 20 entreprises, a tenu de fructueuses rencontres bilatérales et poursuivra ses échanges en vue d’explorer davantage les possibilités de coopération dans les domaines du commerce et de l’investissement.
Il a aussi relevé que plus de 250 entreprises turques opèrent déjà au Maroc, représentant un volume d’investissement d’environ un milliard de dollars et générant quelque 20.000 emplois, notant que depuis l’entrée en vigueur, en 2006, de l’accord de libre-échange entre les deux pays, les échanges commerciaux ont enregistré une croissance significative.
Le vice-ministre turc a aussi mis en avant la complémentarité des économies marocaine et turque, qualifiées d’économies émergentes dynamiques sur les plans africain et européen, soulignant la volonté des deux pays d’élargir leur partenariat aux marchés tiers.