Médias au Maroc : La révolution digitale redéfinit les repères du secteur

Entre essor des plateformes numériques, montée en puissance des influenceurs et fragilité de la confiance dans les médias, le Maroc redéfinit son écosystème de l’information. Un contexte partagé avec d’autres pays du Sud, à l’heure où l’Intelligence Artificielle et les réseaux sociaux bouleversent les usages médiatiques à l’échelle mondiale.

Dans un contexte mondial de basculement vers les médias numériques, le Maroc poursuit sa transition informationnelle, mais non sans tensions. Le dernier Digital News Report 2025, publié par le Reuters Institute for the Study of Journalism, révèle que 78% des Marocains accèdent à l’information en ligne, tandis que les réseaux sociaux jouent un rôle déterminant, en particulier chez les jeunes générations. YouTube (49%), Facebook (47%), Instagram (32%) et TikTok (24%) figurent parmi les canaux les plus utilisés pour s’informer, reléguant la presse écrite et les chaînes traditionnelles à un rôle secondaire.

Malgré cette consommation numérique soutenue, la confiance dans les médias marocains reste faible, à seulement 28%, l’un des taux les plus bas du panel étudié. Cette défiance s’explique par une perception généralisée de proximité avec les pouvoirs publics, un traitement partiel des sujets sensibles, et une dépendance persistante aux subventions étatiques, notamment pour la presse papier.

Cependant, certains médias échappent à cette désaffection : Medi1 TV (66% de confiance) et Al Aoula (64%) bénéficient d’une meilleure image auprès du public. Une dualité s’installe : d’un côté, une minorité de marques perçues comme fiables, de l’autre, une majorité jugée opaque, exposée aux accusations de collusion ou d’autocensure.
 

Un public marocain jeune,
mobile, et en quête de fiabilité
L’audience marocaine se caractérise par sa jeunesse et sa grande mobilité numérique. Selon les données du rapport, 72% des moins de 35 ans au Maroc consultent quotidiennement l’actualité via leur smartphone, ce qui place le pays parmi les plus dynamiques d’Afrique dans ce domaine. Cette mobilité, couplée à une forte connectivité urbaine, explique en partie l’essor des formats courts (vidéos verticales, stories, reels) et la popularité croissante des podcasts, notamment sur Spotify, YouTube et Apple Podcasts.

Cette évolution influe directement sur les pratiques éditoriales : plusieurs médias marocains en ligne investissent désormais dans des formats vidéo courts, pensés pour les réseaux sociaux, au détriment des articles longs. Si cela permet de capter une audience volatile, cela soulève néanmoins des inquiétudes quant à la profondeur de l’information transmise.

Autre donnée clé : les Marocains consomment les informations à travers une multiplicité de plateformes. TikTok, bien que moins utilisé que Facebook ou Instagram, connaît une progression rapide (+8 points par rapport à 2024), notamment chez les 18-24 ans. Cette tendance s’accompagne d’un scepticisme accru quant à la fiabilité des contenus qui y circulent : 63% des répondants jugent l’information diffusée sur TikTok peu fiable, contre 48% pour Facebook et 44% pour YouTube.

La montée des contenus sponsorisés, des placements de produits et des fausses interviews ou témoignages suscite une vigilance croissante. D’où l’importance, selon les experts interrogés par le Reuters Institute, d’intégrer des mécanismes de signalement efficaces et d’encourager les plateformes à jouer un rôle plus proactif dans la modération des contenus.

Au-delà de la confiance, la question du pluralisme médiatique demeure centrale. Le paysage marocain est marqué par une concentration croissante, avec quelques groupes médiatiques qui détiennent la majorité des parts d’audience. Le rapport pointe la nécessité de créer un écosystème plus équilibré, capable d’accueillir des voix indépendantes, régionales ou issues des minorités, dans un environnement sécurisé juridiquement et économiquement.

Le rôle de l’État, en tant que garant de la diversité des opinions, est ici crucial. Cela suppose de renforcer les aides publiques non conditionnées à l’alignement éditorial, d’accompagner la transition vers le numérique pour les médias régionaux, et d’assurer une transparence accrue sur les financements.
 

Le virage des influenceurs
et créateurs de contenus
Cette crise de légitimité ouvre un boulevard aux influenceurs numériques, désormais perçus comme des relais d’information puissants. 52% des sondés au Maroc les considèrent comme les premiers vecteurs potentiels de désinformation, devant même les responsables politiques (30%) et les journalistes euxmêmes (28%). 

Ce phénomène, couplé à une surexposition à des contenus non vérifiés sur les réseaux sociaux, nourrit un sentiment d’insécurité informationnelle, avec plus de 54% des Marocains qui déclarent ne pas savoir distinguer le vrai du faux en ligne.

Le rapport consacre également une section à la montée de l’Intelligence Artificielle générative dans les salles de rédaction. Si plusieurs pays du Sud comme l’Inde ou l’Indonésie s’y engagent activement, le Maroc avance avec précaution. L’usage des chatbots pour l’actualité reste marginal (moins de 5%), et la méfiance envers les contenus générés par l’IA demeure élevée, en particulier dans les formats sans supervision humaine.

Globalement, les publics jeunes, plus enclins à utiliser l’IA pour des tâches quotidiennes, se montrent plus réceptifs. Mais la majorité des citoyens s’inquiète de la perte de transparence (-8), de l’exactitude des faits (-8), voire de la crédibilité de l’information (-18) liée aux contenus automatisés. 
 

Comparaison régionale : Même
tournant, rythmes contrastés
À l’échelle de l’Afrique du Nord, les données disponibles révèlent des convergences notables : au Nigeria, les utilisateurs déclarent des niveaux d’adoption numérique élevés, mais avec une vigilance accrue face aux fake news. L’Afrique du Sud, quant à elle, structure un écosystème hybride où l’on combine fact-checking rigoureux, expérimentation de l’IA et initiatives locales de financement de la presse indépendante.

Le Kenya, enfin, connaît une explosion du journalisme citoyen et des plateformes de désinformation parallèlement à l’affaiblissement économique des grands médias, une trajectoire qui préfigure les risques d’un effondrement de la presse traditionnelle sans alternatives viables.
 

Yassine ELALAMI

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