Mouches et nuisibles : Les chaleurs du printemps relancent l’invasion [INTÉGRAL]

Le phénomène, particulièrement intense cette année, touche aussi bien les quartiers résidentiels que les zones semi-urbaines et rurales. Zoom sur une nuisance qui n’est pas sans causes humaines.

L’intensité du phénomène varie selon les régions et, parfois, selon les zones d’un seul et même territoire. Depuis quelques semaines, les mouches domestiques semblent avoir proliféré, générant moult nuisances au passage. «Ce que nous vivons dans notre résidence ressemble énormément à ce qu’on pourrait qualifier d’invasion. C’est devenu intolérable, puisqu’il suffit d’ouvrir une porte ou une fenêtre quelques minutes pour que des dizaines de mouches s’introduisent dans nos espaces de vie», raconte une habitante de Harhoura. Si la résurgence, souvent printanière, des mouches est un phénomène récurrent, voire naturel dans certaines proportions, force est constater que le nombre de ces insectes du quotidien pour la «saison» en cours est largement supérieur à la normale. «Nous avons contacté une société spécialisée dans l’hygiène du milieu, mais il semblerait que traiter nos espaces ne serviraient quasiment à rien puisque les mouches viennent de l’extérieur», poursuit notre interlocutrice.
 
Reproduction fulgurante
Loin d’être anecdotique, cette prolifération concerne une espèce bien identifiée : Musca domestica, la mouche domestique, omniprésente dans les espaces habités. «Depuis la fin du mois de mars, nous avons reçu un volume inhabituel de demandes d’intervention contre la prolifération des mouches domestiques, y compris dans des zones résidentielles qui ne sont pas classiquement touchées à cette période», indique pour sa part M. Khalid Bourouisse, expert en hygiène du milieu et gérant d’une entreprise spécialisée en désinfection, désinsectisation et dératisation (DDD). Selon lui, plusieurs facteurs se combinent : hausse précoce des températures, humidité résiduelle et abondance de matières organiques accessibles en état de décomposition ou de fermentation. «Les environnements urbains où les déchets sont mal conditionnés, où la collecte ne se fait pas au moment idéal et où les zones de stockage ne sont pas régulièrement nettoyées favorisent l’installation rapide des mouches», poursuit Khalid Bourouisse. 
 
Prolifération intense
«Les situations les plus à risque sont celles où coexistent plusieurs conditions favorables : dépôts d’ordures exposés, bacs à déchets non-étanches, points d’eau stagnante, proximité d’activités d’élevage…», précise-t-il. Dans ces cas-là, même une intervention ponctuelle perd de son efficacité si l’environnement global reste inchangé : «On peut traiter un site, mais si le foyer est structurel ou externe, les mouches reviendront». D’où la nécessité d’aborder la question à une échelle plus large : «Le traitement nécessaire pour lutter contre la prolifération des mouches doit idéalement se faire à l’échelle de toute l’agglomération. Les collectivités locales sont en première ligne de responsabilité, puisqu’elles assurent la gestion des déchets, l’hygiène des espaces et les campagnes de prévention», affirme Pr Ahmed Taheri, ajoutant que «les traitements menés par les collectivités se doivent par ailleurs de respecter les exigences en matière de récurrence et de couverture spatiale des interventions». 
 
Traitement innovant
Peut-on imaginer un traitement alternatif, comme celui utilisé pour la mouche méditerranéenne des fruits (voir article ci-contre), que le Maroc a combattu en important des insectes stériles depuis l’Argentine ? Pour le Dr Taheri, la Technique de l’Insecte Stérile (TIS) demeure difficilement applicable au cas des mouches domestiques dans le Royaume. «À ma connaissance, cette méthode n’est pas appliquée actuellement au Maroc pour les mouches domestiques. Je pense que c’est difficile à mettre en place, mais c’est faisable», indique-t-il. À ses yeux, la priorité reste de diminuer les facteurs favorables à la prolifération, en agissant sur l’environnement immédiat. L’entomologiste ne ferme cependant pas la porte à une stratégie plus ambitieuse : «Si on arrive au niveau requis de collaboration entre scientifiques et autorités, ce serait une initiative innovante, exemplaire et bénéfique pour la santé publique et pour le confort des citoyens et des touristes». 
 
Omar ASSIF

3 questions à Dr Ahmed Taheri, entomologiste : « La reproduction peut devenir très intense si les conditions climatiques sont favorables et que les facteurs humains sont également au rendez-vous »
Les mouches sont-elles réellement en prolifération actuellement au niveau national ? 

Il existe actuellement dans diverses régions et villes du Royaume une véritable prolifération de mouches domestiques. C’est d’ailleurs bien visible parce que cette espèce (Musca domestica) vit dans les milieux fréquentés par les humains, d’où son nom. On peut bien évidemment trouver d’autres espèces de mouches, mais c’est bien l’espèce «domestique» qui prolifère le plus. La prolifération s’explique également par les conditions climatiques (températures, humidité…) très favorables à la multiplication de cet insecte. Ajoutez à cela les autres facteurs humains qui favorisent également cette prolifération.
 

S’agit-il d’un phénomène exceptionnel ?

Il s’agit d’un phénomène «normal» dans le sens où la mouche domestique a un cycle saisonnier de reproduction dont le pic correspond (au Maroc) à la période entre avril et septembre. Cela dit, la différence cette année réside dans l’intensité du phénomène. La reproduction peut devenir très intense si les conditions climatiques sont favorables et que les facteurs humains sont également au rendez-vous. Cela s’explique simplement par le court cycle de reproduction de la mouche domestique qui est de 8 à 14 jours en moyenne. 
 

Au-delà de ses nuisances, la mouche domestique joue-t-elle un rôle écologique quelconque ?

Toute espèce a une fonction biologique dans le réseau trophique. La mouche domestique, comme d’autres diptères, joue un rôle de décomposeur de la matière organique dans les milieux naturels. Mais dans les zones habitées, elle devient rapidement plus nuisible qu’utile. D’où l’intérêt de traiter, pour éviter la prolifération et ses impacts négatifs.

Santé : La mouche domestique, vecteur mécanique de maladies infectieuses
Au-delà du simple désagrément, la mouche domestique pose un véritable problème de santé publique. «Elle fait partie des plus grands vecteurs de pathogènes au niveau mondial», souligne Dr Ahmed Taheri. Non pas parce qu’elle est physiologiquement porteuse, mais parce qu’elle agit comme un vecteur «mécanique». En fréquentant des lieux insalubres (déchets, excréments, fosses septiques…), elle transporte sur son corps des virus, des bactéries et parfois des larves de parasites. «Elle les accroche, puis les diffuse par simple contact», explique l’entomologiste. Résultat : une contamination peut survenir sans que l’on en soupçonne l’origine. Une maladie intestinale, une infection, un aliment souillé… et souvent, personne ne pense à la mouche. Dans les environnements urbains densément peuplés, ce risque s’amplifie de manière silencieuse. L’Organisation mondiale de la santé rappelle que les maladies diarrhéiques, souvent liées à une mauvaise hygiène ou à la transmission par vecteurs, causent plus de 500.000 décès chaque année.

Lutte contre les ravageurs : Quand le Maroc importait des mouches par centaines de millions
Entre mars 2020 et mai 2021, le Maroc a mis en œuvre une initiative inédite en matière de lutte biologique en important 440 millions de mouches méditerranéennes stériles (Ceratitis capitata) depuis l’Argentine. Cette opération visait à combattre la mouche méditerranéenne des fruits, un ravageur majeur affectant les cultures fruitières, notamment dans la région du Souss-Massa. La mouche méditerranéenne est connue pour pondre ses œufs dans divers fruits, rendant ces derniers impropres à la consommation. Les larves se nourrissent de la pulpe, provoquant des pertes économiques significatives pour les agriculteurs. Pour contrer cette menace, le Maroc a adopté la Technique de l’Insecte Stérile (TIS), une méthode respectueuse de l’environnement qui consiste à élever en masse des insectes mâles, à les stériliser par irradiation, puis à les relâcher dans la nature. Ces mâles stériles s’accouplent avec des femelles sauvages, empêchant ainsi la reproduction et réduisant progressivement la population du ravageur. L’Institut argentin de santé et de qualité agricole de Mendoza (Iscamen) a été chargé de fournir ces insectes. Chaque semaine, 10 millions de mouches stériles étaient expédiées au Maroc depuis l’Argentine. Cette collaboration a permis de renforcer les capacités du Maroc en matière de lutte intégrée contre les ravageurs, tout en minimisant l’utilisation de pesticides chimiques. Cette initiative s’inscrit dans une stratégie plus large visant à promouvoir des méthodes agricoles durables et à préserver la biodiversité.

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