Orientation des étudiants : Les carences d’une politique nationale de « non-retour » !

La fuite des cerveaux reste l’un des plus grands défis rencontrés par le Royaume. Alors que la mobilité internationale augmente, l’orientation étudiante devient un levier stratégique, capable d’influencer à la fois les parcours académiques et les marchés du travail, tant au Maroc qu’à l’étranger. Quelles sont les lacunes du Royaume en la matière et comment y remédier ? Eclairage.

Chaque année, près de 60.000 étudiants marocains partent à l’étranger, ce qui représente à la fois une opportunité et un risque, car cette mobilité peut devenir un véritable moteur de développement national ou, au contraire, accentuer l’hémorragie des compétences qualifiées. L’orientation des étudiants s’affirme ainsi comme un levier stratégique de l’action publique, capable d’influencer de manière décisive non seulement les parcours académiques, mais aussi les marchés du travail dans les pays d’origine et de destination.

Pour un pays comme le Maroc, l’enjeu est double, souligne un rapport du Policy Center for the New South, puisqu’il s’agit de favoriser «l’acquisition de compétences de haut niveau à l’étranger tout en limitant le phénomène de “fuite des cerveaux” et en encourageant la “migration circulaire” ou le “gain de cerveaux” ». L’orientation ne se résume donc pas à fournir une simple information, elle constitue un outil pour aligner les trajectoires individuelles des étudiants avec les objectifs de développement national. Le policy paper souligne toutefois qu’il existe un manque de clarté sur la manière dont les politiques publiques marocaines encadrent cette mobilité sortante.
 
Trois carences structurelles !
 
Le dispositif marocain s’aligne essentiellement sur les critères imposés par les Universités et les gouvernements étrangers, rappelle le rapport, notant l’excellence académique, la maîtrise des langues et les limites d’âge. Cette logique d’«écrémage» profite aux pays d’accueil, qui attirent les meilleurs profils marocains, sans que le Maroc ne cherche à orienter activement ses étudiants vers des filières stratégiques pour son développement, à l’instar des énergies renouvelables, la santé, etc. Le pays contribue donc à former des talents pour les marchés étrangers plutôt que pour le sien, estime les auteurs. Un constat alarmant, du fait que les étudiants marocains qui poursuivent leurs études à l’étranger représentent environ 5% de la population étudiante totale du pays. Ce chiffre confirme une tendance à la hausse continue depuis plus d’une décennie. Entre 2011 et 2021, le nombre d’étudiants marocains en mobilité a connu une croissance impressionnante de 73%, passant de 40.285 à 69.735, une dynamique qui surpasse la croissance mondiale de la mobilité étudiante sur la même période.
 
 
 
Une fois à l’étranger, les étudiants perdent presque tout lien institutionnel avec le Maroc. Le suivi académique et l’accompagnement sont laissés aux seules structures des pays d’accueil, épingle le rapport basé sur l’analyse de 204 programmes officiels, affirmant qu’aucune information n’est fournie sur l’évolution du marché du travail marocain ni sur les opportunités professionnelles locales. Pendant ce temps, les politiques actives d’intégration des pays hôtes (visas post-études, accompagnement professionnel) incitent fortement à rester sur place.
 
La même source note par ailleurs que l’efficacité d’une politique d’orientation ne se limite pas à financer les parcours, mais à influencer véritablement les choix des étudiants. Or, l’approche marocaine demeure quasi exclusivement centrée sur les incitations financières (bourses, frais de scolarité, logement), certes essentielles pour réduire l’autocensure des jeunes issus de milieux modestes, mais insuffisantes pour orienter stratégiquement les talents. En négligeant les déterminants non monétaires (réputation académique, perspectives d’employabilité, adéquation avec les priorités nationales) et en offrant une information générique peu adaptée à la diversité des profils, le dispositif actuel passe à côté du potentiel exploitable de sa jeunesse.
 
De plus, le Maroc ne dispose d’aucun dispositif clair pour organiser et faciliter la réintégration des diplômés. Contrairement au discours politique valorisant les «Marocains du Monde», le retour demeure un choix individuel, souvent coûteux sur le plan financier et professionnel. En l’absence de programmes attractifs de réintégration, beaucoup d’étudiants choisissent de rester à l’étranger, accentuant la perte nette de capital humain, souligne le policy paper.  
 
Quatre axes prioritaires pour une refonte
 
Le rapport note d’emblée que l’arsenal de communication du ministère repose quasi exclusivement sur le portail web mabourse.enssup.gov.ma. S’il a le mérite de centraliser une partie de l’information, il fonctionne avant tout comme un dépôt d’informations passif, d’autant que les autres canaux, tels que les Salons de l’étudiant et les Bureaux de conseil, présentent également des faiblesses structurelles. Ainsi et au-delà du portail actuel, il est recommandé de mettre en place un véritable outil interactif de pilotage. Celui-ci informerait les étudiants sur les filières d’avenir pour le Maroc, et s’appuierait sur un réseau institutionnalisé d’anciens élèves jouant un rôle de mentors et de relais d’information.
 
Concernant l’accompagnement, le document propose de concevoir des programmes de bourses prestigieux, dirigés vers les secteurs critiques du développement national, notamment la transition énergétique, la souveraineté sanitaire, l’industrie 4.0, ou encore les technologies numériques. Ces dispositifs devraient dépasser la logique d’aide financière générique pour devenir de véritables instruments stratégiques.

Le document insiste sur la nécessité d’un accompagnement continu, dès la période d’études, afin de préparer le retour. Concrètement, cela passerait par une plateforme de réintégration offrant stages, opportunités d’emploi et événements de réseautage avec des entreprises marocaines. L’idée est de créer un pont pour rendre le retour non pas un sacrifice, mais une perspective attractive et compétitive.
 
Les auteurs du rapport estiment également que le Maroc pourrait tirer des enseignements de dispositifs tels que Campus France, non pas pour reproduire leur logique de recrutement, mais pour adapter leurs mécanismes de guichet unique, de suivi et de structuration des parcours. L’enjeu est de bâtir un modèle marocain de migration circulaire, où la mobilité devient un levier de transfert de compétences au service du pays.

 

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