Le budget de l’année à venir place l’Exécutif face à des défis croissants, avec des exigences toujours plus élevées. Consolidation de l’État social, diversification économique… autant de sujets qui tracent la stratégie pour un Maroc plus équitable. Retour sur les points clés évoqués par Nadia Fettah Alaoui à Washington.
Contexte social et préparation budgétaire
Ce sont en effet les propos de Nadia Fettah Alaoui, ministre marocaine de l’Économie et des Finances, tenus lors d’une série d’entretiens en marge des assemblées annuelles du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque Mondiale à Washington. Elle a rappelé que la préparation de la Loi de Finances 2026 s’articule autour d’une priorité centrale, celle de la consolidation de l’État social, avec un accent particulier sur l’éducation, la santé et le soutien social, dans le cadre d’une vision à long terme s’étalant sur trois ans.
Droit au but, les manifestations du mouvement GenZ212 ne sont pas restées sans écho. Dans ses réponses aux interviews accordées à «Sky News Arabia» et à l’agence «Reuters», la ministre a affirmé que le prochain budget du Royaume sera ajusté «afin de privilégier les dépenses en matière de santé et d’éducation, tout en allouant des fonds supplémentaires pour réduire les inégalités régionales». Elle a souligné, dans cet esprit, la nécessité d’ancrer une véritable culture du résultat et de la responsabilité, conformément aux Orientations Royales.
La programmation budgétaire s’inscrira désormais dans une perspective pluriannuelle de trois ans, en veillant à une meilleure coordination entre les programmes publics, dans le but de garantir une répartition équitable des ressources, notamment entre les zones rurales, montagneuses et urbaines, «sans pour autant compromettre les équilibres macroéconomiques», a assuré la ministre.
Comme à l’accoutumée, la réorientation budgétaire sera présentée au Parlement à l’issue du mois d’octobre, les détails précis ne pouvant être divulgués avant la présentation officielle du projet de budget devant les parlementaires.
Perspectives économiques en ligne de mire
«Les prévisions de croissance du Maroc pour 2026, estimées entre 4,5% et 4,6%, demeurent légèrement supérieures à celles du FMI (4,4% et 4,2%), ce qui traduit la confiance dans la solidité des fondements économiques du pays», a déclaré Nadia Fettah dans son entretien à Sky News Arabia.
Elle a souligné que cette croissance n’est pas portée par un secteur unique, aucun d’entre eux ne représentant plus de 7 à 10% du PIB. Selon la ministre, la diversification économique et l’intégration du Maroc dans les chaînes de production mondiales constituent les véritables moteurs de cette dynamique.
Mme Nadia Fettah Alaoui a indiqué que le Maroc se dirigera, à moyen terme, vers un régime de ciblage de l’inflation, dont la mise en œuvre est prévue entre la fin de l’année 2026 et le début de 2027. Le taux cible devrait se situer entre 2% et 3%, a-t-elle précisé.
S’agissant du régime de change, la ministre a rappelé que le dirham demeure adossé à un panier composé à 60% de l’euro et à 40% du dollar américain, avec une marge de fluctuation de 2,5% de part et d’autre depuis 2018. Elle a toutefois souligné que la libéralisation complète de la monnaie nationale interviendra ultérieurement, le temps de renforcer la préparation des petites et moyennes entreprises à cette transition.
«Les grandes entreprises sont prêtes, le secteur financier est capable de s’exposer, mais nous devons encore accompagner les plus petites structures», a-t-elle expliqué.
Côté investissement, «La décision de Standard & Poor’s de relever la notation du Maroc à Investment Grade (BBB-) était attendue. Elle reflète la solidité de notre cadre macroéconomique et permettra d’attirer de nouveaux investisseurs institutionnels qui, jusqu’à présent, ne pouvaient pas placer leurs capitaux dans des pays dépourvus de ce label», a expliqué Nadia Fettah.
Concernant la Ligne de Crédit Modulable (LCM) accordée par le FMI, la ministre a relevé qu’il s’agit «d’un dispositif de précaution, d’un montant d’environ 4,5 à 5 milliards de dollars, qui ne sera pas utilisé pour financer des projets ou combler le déficit budgétaire. Cette ligne agit comme une assurance contre d’éventuels chocs externes et soutient la continuité des réformes structurelles engagées par le Royaume».
Sur la question de la dette, la ministre a enfin souligné que le gouvernement n’envisage pas un retour immédiat sur les marchés internationaux, tout en confirmant que le Maroc continuera d’y intervenir de manière régulière.
L’ADN de la coopération commerciale
Nadia Fettah n’a pas ménagé ses interventions médiatiques. Interrogée par le think tank Stimson Center sur l’ouverture du Maroc à l’international, la ministre a souligné que la force du Royaume réside dans sa vision à long terme et son attachement à l’ouverture commerciale.
«Nous avons une vision de long terme pour nos partenariats et notre intégration dans les chaînes de valeur mondiales. Notre ADN ne change pas. Le commerce international n’est pas un choix, c’est une nécessité», a-t-elle affirmé.
Le Maroc a conclu plus de cinquante accords commerciaux à travers le monde, ce qui constitue une rareté sur le continent africain. Cette ouverture est structurelle et non conjoncturelle, insiste la ministre.
Concernant les échanges avec les grandes puissances, le commerce avec les États-Unis est jugé «beaucoup plus important» que celui avec la Chine. Au cours des cinq dernières années, les importations américaines ont atteint environ 25 milliards de dollars, et les droits de douane appliqués par les États-Unis (environ 10%) n’ont eu qu’un impact limité sur l’économie marocaine.
La problématique du chômage
Le chômage, et tout particulièrement celui des jeunes, constitue un enjeu majeur pour le Royaume. Sa résolution passe par des solutions durables, centrées notamment sur la réforme du système éducatif. La ministre a rappelé que le défi réside dans la capacité à concilier des transformations structurelles de long terme avec des résultats tangibles à court terme.
Pour y répondre, le gouvernement a lancé début 2025 un plan global visant à accélérer la mise en œuvre des réformes et à obtenir des résultats rapides (quick wins). Ce dispositif s’accompagne d’une évolution des politiques publiques. Toutes doivent désormais intégrer des indicateurs de performance liés à la création d’emplois, afin de mesurer concrètement l’impact des actions entreprises.
La ministre a également souligné un paradoxe du marché de l’emploi : malgré le chômage des diplômés, les entreprises signalent un manque de main-d’œuvre qualifiée. Elle a cité l’exemple du secteur aéronautique, où un partenariat public-privé pour la formation a permis de combler ce décalage, un modèle à reproduire dans d’autres secteurs.
Enfin, plusieurs facteurs exogènes compliquent la situation. «La sécheresse a entraîné la perte d’environ un million d’emplois agricoles sur la dernière décennie, que les autres secteurs peinent à absorber», a tenu à expliquer la responsable gouvernementale à Stimson Center. Par ailleurs, les transformations technologiques à venir exigent innovation et adaptation, afin de ne pas creuser l’écart avec les économies développées.
Transition énergétique et partenariats public-privé
Mettant l’accent sur la stratégie nationale des énergies renouvelables, Nadia Fettah a affirmé que sous l’impulsion Royale, le Maroc a engagé dès 2009 une politique énergétique ambitieuse, visant à renforcer son autonomie et à intégrer massivement les énergies renouvelables dans son mix électrique. Aujourd’hui, 40% de la capacité électrique du pays provient de sources renouvelables, avec un objectif de 52% d’ici 2030. Le Maroc bénéficie d’un avantage naturel unique, à savoir le soleil et le vent qui sont souvent présents dans les mêmes zones, ce qui limite les problèmes d’intermittence.
L’agence nationale des énergies renouvelables est désormais financée via des partenariats public-privé (PPP), réduisant ainsi la dépendance au financement public.
Le Maroc entend également rééquilibrer la structure de l’investissement national, en passant d’une répartition actuelle de deux tiers public / un tiers privé à une configuration où le secteur privé représenterait les deux tiers. Cette transition se fera progressivement, sans réduction brutale des dépenses publiques, en mettant l’accent sur les PPP, notamment dans le dessalement de l’eau et les énergies renouvelables.
La ministre a insisté sur l’approche collaborative qui sous-tend cette stratégie : le succès du Maroc repose sur la complémentarité entre les secteurs public et privé, aucun des deux n’ayant le monopole de la solution.