La réforme du Code de procédure pénale a introduit des changements dans la garde à vue. Les avocats en sont insatisfaits. Peut-on parler d’humanisation des commissariats ? Décryptage.
Peu d’avocats partagent son enthousiasme. Sur les plateaux de télévision, ils passent leur temps à dénigrer un texte censé, pourtant, renforcer le droit de la défense. Dès qu’ils en parlent, les critiques jaillissent. Pour l’Association des Barreaux du Maroc (ABAM), l’avocat est le maillon faible de la réforme. Il y est marginalisé et pèse peu face au Parquet. Le secret professionnel menacé…
Voilà en gros les principaux griefs de l’Association qui avait même parlé de recul législatif, au comble de sa colère. Dans ces griefs, l’ABAM parle surtout d’enquête préliminaire. La garde à vue concentre les critiques. Lorsqu’il préparait sa réforme, le ministre de tutelle avait promis des avancées majeures pour le droit de la défense, ce qui a fait que les attentes ont été aussi grandes chez les robes noires qui raffolaient à l’époque. Elles s’imaginaient affranchies de toutes les contraintes qui pesaient sur elles et se voyaient déjà traitées d’égal à égal avec le parquet. On en est loin.
Certes, il y a eu des acquis, mais l’écart entre l’idéal et le réel reste si grand. La garde à vue commence dès qu’on franchit le perron d’un commissariat et finit lorsque le suspect est déféré devant le procureur du Roi en attendant d’être confié à l’instruction judiciaire. En gros, il y a eu des changements substantiels, au moins sur la forme. Pour la première fois, la garde à vue est considérée comme une mesure exceptionnelle à laquelle on ne peut faire recours qu’en cas de crime passible d’une peine de prison ferme. Ce n’est plus la règle, en vertu de l’article 66. Il a fallu l’inscrire dans la loi pour atténuer les vieux réflexes des procureurs.
La poursuite en détention a été de tout temps une règle. Maintenant, elle est conditionnée. On n’y a recours que quand la présence du suspect est indispensable à l’enquête préliminaire ou si ce dernier constitue un danger ou s’il y a risque d’évasion. Aussi, le suspect est maintenu sous les verrous s’il est lui-même en danger ou pour garder les preuves. Le droit de garder le silence et d’être informé de quoi on est accusé sont protégés plus explicitement et l’assistance juridique de l’Etat garantie.
Pour les robes noires, l’idéal est de pouvoir accompagner sans restriction leurs clients tout au long de la garde à vue dès l’entrée au commissariat jusqu’à la comparution devant le Juge. Ce qui n’est pas le cas actuellement malgré le renforcement du droit de la défense.
Sur le fond, la nuance reste de mise. Force est de constater que la durée de la garde à vue n’a pas été changée malgré les appels à en réduire le plafond. Jusqu’à présent, la garde à vue peut durer 48 heures avec possibilité de la prolonger de 24 heures. Cela peut durer au total 72 heures pour les infractions de droit commun, tandis qu’elle peut aller jusqu’à 96 heures en cas de terrorisme ou de crimes contre la sûreté de l’Etat. Les avocats, notamment ceux de l’ABAM, avaient plaidé pour 24 heures. La durée ne compte pas autant que les garanties réelles contre les abus, pense Rabii Chekkouri, avocat au barreau de Rabat. Selon lui, il faut veiller à ce que l’enquête se déroule dans des conditions loyales dans le respect des droits fondamentaux. En réalité, la réforme a réduit la marge de manœuvre de la justice. La prolongation de la garde à vue doit être motivée par le parquet.
Pour ce qui est de la capacité d’intervention de l’avocat. L’avocat peut être appelé par son client durant la première heure suivant l’arrestation, les avocats en sont insatisfaits. Ils préfèrent être en capacité d’intervenir dès le début.
Rien n’oblige la police de différer les interrogatoires jusqu’à l’arrivée de l’avocat. D’où l’importance d’un délai de prolongation formel qui soit codifié. La loi n’y fait aucune mention. Ça ne sert à rien d’attendre l’avocat pour commencer, selon Ouahbi. Lorsqu’il a été interrogé sur cela au Parlement, il a allégué des contraintes procédurales. Selon lui, c’est d’autant plus compliqué qu’on ne peut pas hypothéquer l’enquête préliminaire. L’argument consiste à ce qu’on ne peut pas rester les bras croisés si l’avocat n’est pas joignable ou en incapacité de se présenter à l’heure.
Une fois arrivé, l’avocat n’a que 30 minutes pour échanger avec son client. Cette durée est jugée dérisoire aux yeux des avocats et, même par le Conseil National des Droits de l’Homme. Dans son avis concernant la réforme, le CNDH appelle à garantir plus assez de temps pour que les deux parties puissent se concerter sans pression.
En outre, l’avocat ne peut pas être appelé une seconde fois en cas de prolongation de la garde à vue. Le CNDH y voit un problème.
Les avocats espèrent assister pleinement aux interrogatoires de police. Ce fut, pour eux, un gage de protection contre les abus et les aveux forcés. Seuls les mineurs et les personnes en situation de handicap ont ce privilège. Le reste des suspects ne peut être accompagné d’avocat que lors de la lecture et la signature du procès-verbal. Cette séquence est désormais filmée. La réforme a introduit pour la première fois l’enregistrement audiovisuel avec quelques restrictions. Les avocats jugent cela inutile. «Attendre jusqu’à la signature du PV n’apporte rien, le suspect est déjà cuisiné», ironise un avocat sous couvert d’anonymat, faisant allusion aux aveux extorqués par la force. “On connaît le climat dans lequel se déroulent les enquêtes. La pression est telle qu’il arrive parfois que la personne craque sous la pression ou l’intimidation”, lâche-t-il.
Si les avocats plaident le droit d’assister tout au long des interrogatoires, c’est pour veiller à ce que le PV corresponde exactement aux échanges de la police avec le suspect. “Il est nécessaire d’indiquer, dans le procès-verbal de la police judiciaire, que la personne arrêtée a été informée de tous ces droits, notamment le droit de garder le silence. Un droit qui ne peut être garanti qu’avec l’assistance d’un avocat ayant été présent dès le début de l’interrogatoire. D’où l’importance, à notre avis, de l’assistance des avocats lors des interrogatoires de police”, nous explique un avocat au barreau de Casablanca sous le manteau.
Le tableau n’en demeure pas moins lumineux. Les avocats ont obtenu quelques acquis. L’autorisation du parquet pour contacter leurs clients n’est plus nécessaire. Les robes noires ont désormais le droit de faire recours d’une décision de détention prise par le Parquet. C’est-à-dire que l’avocat peut remettre en cause la décision d’un procureur.
Concernant la police judiciaire, les avocats ont toujours horreur des procès-verbaux qui, pensent-ils, demeurent difficilement contestables pendant le procès même s’il y a des preuves contradictoires. Ils ne sont nuls que lorsqu’il y a un vice de forme. La question des autorités de l’administration territoriale a aiguisé la crainte des avocats. Leurs PV font foi aux yeux de la loi et valent un procès-verbal d’un officier de police judiciaire. Cela concerne uniquement les khalifas (vice -caïds) pas les agents d’autorité.
L’article 66-3 du Code de procédure pénale, révisé par la réforme d’août 2024, prévoit l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires uniquement pour les mineurs. Pour les majeurs, l’enregistrement est limité à la lecture et à la signature du procès-verbal, pour les infractions passibles de plus de cinq ans de réclusion. Cette restriction réduit la portée probatoire de l’enregistrement et fragilise les garanties procédurales. Un enregistrement intégral de la garde à vue renforcerait la transparence, assurant à la fois la protection des droits des suspects et la sécurisation du travail des organes d’investigation.
De nombreux avocats plaident pour que la garde à vue ne dépasse pas 24 heures sans prolongation. Quel est le plafond le plus souhaitable ?
Faut-il que le Ministère public soit habilité à requalifier les infractions de crimes en délits et de le demander aux magistrats du siège, comme le propose l’article 49 ?
Il en est ainsi pendant toute la phase de l’enquête préliminaire. Ce n’est qu’après l’instruction judiciaire que l’avocat peut consulter le dossier. C’est là qu’il a le plus de facilités. Le Conseil National des Droits de l’Homme a contesté cette restriction jugeant que rien ne justifiait que l’avocat soit tenu à l’écart des détails de l’affaire. Toutefois, pendant l’instruction judiciaire, la défense a été raffermie.
L’avocat doit être impérativement notifié avant l’interrogatoire du mis en examen par le Juge d’instruction. Aussi, la défense a-t-elle le droit de convoquer tout témoin qu’elle juge utile d’entendre pendant l’instruction.
Le juge d’instruction n’a plus autant de marge de manœuvre qu’avant pour écrouer les mis en examen. Le recours à la détention préventive a été largement restreint, celle-ci est considérée aussi comme une mesure exceptionnelle appliquée faute d’alternative.