Procédure pénale : L’accès des associations à la Justice oppose Ouahbi à deux instances consultatives ( Décryptage)

Entre les mains des députés, la réforme de Procédure pénale consacre un quasi monopole du plus haut sommet du Ministère Public dans les affaires liées au détournement de fonds publics au détriment de la société civile dont la capacité d’ester en Justice à la fois en tant que dénonciatrice et partie civile a été largement amenuisée. Une restriction critiquée par le CESE et le CNDH dans leurs avis respectifs qui se heurtent à l’argumentaire du ministère de tutelle. Explications.

 

En plein examen législatif, la réforme du Code de procédure pénale continue de susciter le débat aussi bien à l’hémicycle qu’ailleurs surtout Chez les cercles savants. La question de l’accès de la société civile à la Justice continue de raviver les controverses juridiques. Après le CESE, c’est au tour du Conseil national des Droits de l’homme de critiquer le fameux article 3 qui ôte aux associations le droit d’ester en Justice dans les affaires de corruption liée à l’argent public.

 

Selon le projet de loi soumis aux députés, seul le Procureur du Roi près de la Cour de Cassation (président du ministère public) peut enclencher des poursuites judiciaires sur la base d’une saisine de la Cour des Comptes ou des organes administratifs d’inspection des finances. C’est comme si le plus haut sommet du Parquet était l’unique garant de la probité nonobstant les lanceurs d’alerte dont le rôle est minoré. Pourtant, jugé aussi important dans la lutte contre la corruption financière et les malversations relatives aux deniers publics.

 

Ce monopole a été dès le début décrié par les associations et les militants des droits de l’homme qui y voient une atteinte au droit de dénoncer la corruption et une entrave d’accès à la Justice qui est censée être garantie pour tout le monde sans distinction tel que garanti par l’article 118 de la Constitution.

 

En fait, dans son avis relatif à la réforme, le CNDH a critiqué cette disposition estimant, d’abord, qu’il faut laisser au Parquet la prérogative de déclencher automatiquement des poursuites sans l’obligation d’être saisi par une instance administrative quelle qu’elle soit, en l’occurrence la Cour des Comptes ou l’Inspection des Finances…
 

Cela dit, le Parquet doit avoir les mains libres pour s’autosaisir librement en cas de soupçon de corruption liée à l’argent public.

En fait, le projet de réforme a manifestement réduit la marge de manœuvre du Parquet qui ne peut ouvrir librement une enquête qu’en cas de flagrant délit. Un scénario ultra complexe selon l’avis du Conseil économique social et environnemental. Les experts et juristes consultés par le CESE ont estimé qu’il est difficile d’appliquer cette disposition vu la difficulté d’établir le flagrant délit dans les affaires de corruption qui nécessitent des preuves et des techniques d’enquête minutieuses.

 

Le Conseil présidé par Amina Bouayach a critiqué également les restrictions qui empêchent la société civile de se dresser comme partie civile. Les associations concernées, rappelons-le, sont tenues d’avoir l’autorisation du Ministère de la Justice pour se déclarer partie civile tel que prévu par l’article 7.

Le Conseil a plaidé pour l’abrogation de cet « obstacle administratif » et le remplacer par une simple obligation d’aptitude juridique. C’est-à-dire qu’il faut autoriser l’ensemble les associations à se déclarer partie civile du moment qu’elles remplissent les critères actuellement en vigueur sans en rajouter d’autres.

Pour sa part, le CESE est allé dans le même sens arguant que « l’autorisation d’ester en Justice” est une entorse aux prérogatives constitutionnelles dévolues à la société civile.

 

L’article 7 du priojet de loi fixe une série de conditions aux associations désireuses de prendre part à une affaire judiciaire en tant que partie civile. En plus du statut d’intérêt public, celles-ci doivent être créées au moins 4 ans avant l’infraction et obtenir au préalable l’aval du ministère de la Justice. Là, le CNDH appelle à révoquer même l’obligation du statut d’intérêt public.

 

En fait, il s’agit là d’un débat aussi bien juridique que politique entre le ministre de tutelle et les détracteurs de la réforme. Interrogé sur ce point dans une interview précédemment accordée à L’Opinion, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a nié qu’il y ait une volonté de barrer le chemin aux associations. Il s’agit, à ses yeux, d’une garantie d’impartialité entre les accusations calomnieuses. Ouahbi est intimement convaincu que le procès de corruption est souvent détourné à des fins de chantage ou de diffamation. “Pour garantir un traitement rigoureux et impartial de ce genre d’affaires, il était essentiel de confier l’exercice de l’action publique au procureur général près la Cour de cassation, puisque cette instance offre le plus de neutralité et de transparence”, a-t-il répondu lorsque nous l’avons interrogé sur ce point.

 

Pour garantir un traitement rigoureux et impartial de ce genre d’affaires, il était essentiel de confier l’exercice de l’action publique au procureur général près la Cour de cassation, puisque cette instance offre le plus de neutralité et de transparence.

 
Le débat reste toujours ouvert en attendant les appréciations des députés qui s’apprêtent à déposer, le 30 avril prochain, leurs amendements.

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