La nouvelle procédure pénale est entrée en vigueur. Une réforme qui limite la détention mais ne va pas assez loin, selon les avocats. Décryptage.
Contrairement à la procédure civile, le texte a échappé à l’examen des Sages faute de saisine, au grand dam des avocats et des militants associatifs qui le jugeaient inconstitutionnel. Le ministère de la Justice s’en est félicité, en faisant état dans un communiqué « d’événement historique qui illustre la ferme volonté politique de consolider l’État de droit et de moderniser le système judiciaire afin d’accompagner les profondes mutations que connaît le pays ».
En gros, on présente la nouvelle Procédure pénale comme un gage d’attractivité internationale du Maroc. Une façon de convertir notre arsenal pénal aux normes internationales à la veille des grands rendez-vous que le Royaume s’apprête à accueillir, notamment le Mondial 2030. Ceci dit, tout se fait au nom de l’ouverture d’un pays qui s’efforce à tous les niveaux de devenir plus hospitalier pour les visiteurs internationaux.
Vers un procès plus équitable ?
Le communiqué du ministère présente la réforme comme une garantie du procès équitable et de la présomption d’innocence. On vante les acquis : Réduction du recours à la détention préventive et de sa durée, encadrement plus strict de la garde à vue, élargissement des droits des victimes, obligation d’informer les suspects de leurs droits après l’arrestation, accompagnement juridique et social, ainsi que des dispositifs spécifiques pour les femmes et les enfants victimes de violences…
Maintenant, les tribunaux, qui continuent de s’adapter aux peines alternatives récemment introduites, vont désormais fonctionner avec de nouvelles règles, censées humaniser davantage l’appareil judiciaire que le ministre de tutelle trouvait archaïque à la prise de ses fonctions.
Du commissariat au procès, rien n’est plus comme avant. En dépit des changements, la réforme reste contestée, surtout par les avocats qui s’estiment les parents pauvres. Certains d’entre-eux jugent qu’elle n’a pas honoré ses promesses. Une sorte d’humanisation de façade de l’appareil judiciaire, disent-ils. D’autres parlent d’un préjudice aux droits de la défense que, paradoxalement, le texte est censé renforcer au départ. Qu’en est-il ?
Acquis majeurs et promesses non tenues !
Certes, il y a eu des avancées, surtout sur le plan des principes généraux, puisque l’incarcération est désormais considérée juridiquement comme une exception alors qu’elle fut longtemps la norme chez les magistrats, au point qu’on s’est retrouvé avec une surpopulation carcérale chronique à force d’écrouer systématiquement les suspects.
C’est pour cela que la détention préventive ne peut plus être prolongée plus de deux fois pour les crimes contre cinq auparavant et une seule fois en cas de délit. La surveillance électronique est mise à la disposition des juges d’instruction pour éviter le maximum possible de poursuivre les gens en détention.
On compte également sur la médiation pénale pour limiter les poursuites. Faisons confiance aux gens ! Parce qu’avant, le Parquet pouvait déclencher une action même en cas de réconciliation des parties, au nom de la société. Quelle aberration !, s’indignait Ouahbi quand il en parlait au Parlement.
Quoiqu’il en soit, les avocats ne sont pas satisfaits. “C’est une réforme extrêmement dangereuse”, dénonce Omar Benjelloun, avocat au barreau de Rabat et membre de l’Association des Barreaux du Maroc, dans une interview accordée à «L’Opinion». Selon lui, la réforme n’est pas allée assez loin dans les droits de la défense pendant la garde à vue et laissé aux procureurs le monopole de qualification des crimes au détriment des magistrats de siège. Notre interlocuteur met en garde contre une justice expéditive qui ne tient pas assez compte du rôle de la défense face à l’accusation publique. En fait, les avocats se disent déçus, surtout du nouveau régime de la garde à vue dont la durée n’a pas changé. Ils espéraient plusieurs acquis qu’ils n’ont pas obtenus, dont la capacité d’entrer en contact avec leur client dès son arrestation. Or, il y a toujours l’autorisation du parquet. En plus, la visite de l’avocat peut être reportée à la demande de l’officier de police judiciaire.
Autre déception : l’interrogatoire de police auquel l’avocat ne peut assister. L’enregistrement audiovisuel est limité à la lecture et à la signature du procès- verbal. Trop tard, il sera déjà bousculé, ironise un avocat au Barreau de Casablanca.
Une des désillusions des robes noires, qui se voient refuser d’obtenir le dossier de leur client avant sa comparution devant le Juge d’instruction. Celui-ci a le droit, comme le parquet, de reporter ce droit aussi longtemps que nécessaire. Résultat des courses : les avocats se disent affaiblis pendant l’enquête préliminaire face à l’accusation publique. Le parcours est tout aussi difficile, arguent-ils, pendant les étapes suivantes. Omar Benjelloun insiste sur la difficulté de contester les procès-verbaux de la police judiciaire pendant les procès. Les PV demeurent, à ses yeux, difficilement contestables devant les juges quelles que soient les preuves apportées par la défense.
En définitive, comme toute réforme, il y a des détracteurs qui s’estiment perdants et des acquis. Le ministère de tutelle estime avoir apporté assez de garanties et assez raffermit le droit de la défense tout en gardant l’équilibre des forces avec le parquet. Le débat continue.
Vous parlez souvent dans vos sorties médiatiques du PV qui reste, dites-vous, la vérité incontestable pour les juges. Pourquoi ?
Les avocats parlent d’une volonté de bâillonner le droit de la défense. Il y a eu des acquis tout de même. Est-ce à ce point grave ?
Pour la première fois au Maroc, il sera possible aux autorités judiciaires de communiquer sur les affaires judiciaires au grand public tel que prévu par l’article 15. Le Parquet peut désormais dévoiler les tenants et aboutissants d’une affaire par la voie d’un porte-parole désigné à cet effet. De quoi inquiéter les avocats qui craignent que cette disposition leur ôte le droit de parler publiquement. Certains parlent même d’un monopole de parole accordé au Ministère Public. Ce qui n’est pas encore le cas. Le ministre de la Justice a tenu à nuancer ce débat lors d’une interview précédemment accordée à «L’Opinion». “Le droit de communication accordé au Ministère Public ne cherche pas à limiter ou à restreindre la défense”, a-t-il assuré, rappelant que le fait de conférer au Ministère Public le droit de communiquer va dans le sens de renforcer la transparence et la crédibilité de la Justice. En gros, le Parquet a été doté du pouvoir de la parole pour limiter le risque des rumeurs et des fake-news.
Ceci n’empêche que la défense ou les autres parties concernées peuvent s’exprimer librement et faire valoir leurs positions. “Nous reconnaissons pleinement le rôle crucial de la défense dans l’explication des positions des accusés et dans la réponse aux accusations portées contre eux”, a insisté le ministre.
L’article 3 interdit aux associations de porter plainte dans une affaire de corruption et accorde un quasi-monopole au Ministère public. Désormais, seul le plus haut sommet du parquet (le Procureur du Roi près la Cour de Cassation) a le pouvoir d’enclencher des poursuites judiciaires en cas de soupçons de corruption liée aux deniers publics sur la base d’une saisine ou du rapport d’un des corps d’inspection de l’Etat. Cela peut être la Cour des Comptes, l’Inspection Générale des Finances (IGF), l’Inspection Générale de l’Administration Territoriale (IGAT), les Inspections Générales des ministères ou des administrations concernées, ou l’Instance Nationale de la Probité, de la Prévention et de la Lutte contre la Corruption (INPPLC).
Aux yeux des associations, ceci revient à les priver de leur rôle de lanceurs d’alerte, et ce, en contradiction avec les accords et les conventions internationales, notamment celles des Nations Unies que le Maroc a signées et qui insistent sur le rôle de la société civile dans la lutte contre la corruption.
Les associations n’ont plus la capacité de porter plainte, de même qu’elles ne peuvent plus se déclarer partie civile aussi facilement qu’avant. L’article 7 dresse une série de conditions restrictives dont la fameuse “autorisation d’ester en justice” que les associations doivent obtenir de la part du ministère de tutelle. Une sorte de barrière à l’entrée, aux yeux des concernés. Le même article fixe une série de conditions, dont le statut d’intérêt public, la création des associations concernées au moins 4 ans avant l’infraction et l’obtention au préalable de l’aval de la tutelle.