En prévision de la co-organisation du Mondial 2030 et de l’afflux de passagers et de marchandises, le Maroc s’attelle à relancer son pavillon national, conformément aux orientations royales. Les études de faisabilité progressent, mais quelques défis restent à surmonter.
Ce dossier n’est certes pas nouveau, mais jamais les perspectives n’ont semblé aussi prometteuses que depuis les directives de Sa Majesté le Roi Mohammed VI dans Son discours de la Marche Verte, exprimant le souhait de voir émerger une flotte nationale de marine marchande « forte et compétitive ». En janvier dernier, plusieurs ministres, dont Nizar Baraka, ministre de l’Équipement et de l’Eau, et Abdessamad Kayouh, ministre du Transport et de la Logistique, ont tenu une réunion avec le cabinet de conseil Boston Consulting Group, chargé d’évaluer le projet. Au cours de cette rencontre, les ministres ont réagi à la présentation en formulant plusieurs observations destinées à optimiser la réussite de l’étude. Kayouh a souligné dans ce sens l’importance d’élargir les concertations avec les départements concernés et d’intégrer les recommandations ministérielles afin d’assurer le succès de ce projet stratégique, qui impacte plusieurs secteurs économiques.
Une méthodologie qui s’impose du fait que la création d’une telle flotte permettrait au Royaume de renforcer sa souveraineté maritime et d’élargir son champ d’action, bien au-delà du simple transport. L’économie bleue, qui englobe des secteurs aussi variés que la pêche, le commerce international, la plaisance, la recherche scientifique, la défense et le transport maritime, constituerait un levier majeur de développement.
Car oui, malgré une position géographique stratégique et des infrastructures portuaires de premier plan, le Maroc peine encore à exploiter pleinement le potentiel de son secteur maritime. La dépendance aux chantiers navals étrangers demeure un frein, rendant urgente la modernisation de la flotte nationale, la création d’un écosystème maritime intégré et l’investissement dans la construction et la réparation navales. Autant d’enjeux cruciaux à relever pour faire du Royaume un acteur maritime de premier plan.
Pour les professionnels interrogés par nos soins, la réponse est sans équivoque : « Il ne s’agit pas seulement de créer des lignes maritimes supplémentaires avec nos voisins espagnols et portugais, c’est aussi une opportunité unique de doter le Maroc d’un pavillon national digne de ce nom. Cet événement planétaire pourrait ainsi servir de tremplin pour positionner durablement le Royaume dans les chaînes de valeur mondiales, bien au-delà de la Coupe du Monde », confient des acteurs du transport maritime. L’expert maritime Najib Cherfaoui abonde dans ce sens que « le transport maritime constitue une alternative idéale à l’aérien. Ce mode de transport de masse permet aux supporters d’assister aux matchs tout en voyageant avec leurs véhicules ». Une telle approche permettrait au Maroc de proposer une offre de transport complète et solidaire, garantissant un déplacement fluide aussi bien pour les visiteurs étrangers que pour les Marocains, notamment ceux résidant en Europe.
Les choses sont à l’identique, du côté commerce. « La flotte marocaine ne compte actuellement qu’une quinzaine de navires, incluant des porte-conteneurs, des ferries et des tankers », rappelle le capitaine Abdelfattah Bouzoubaa, ancien directeur et conseiller du Président de la COMANAV. Un chiffre largement insuffisant pour accompagner les ambitions maritimes du Royaume. Pour cet ancien conseiller de l’Organisation Maritime Internationale (OMI) et fondateur du Moroccan Maritime Museum, il est urgent d’adopter une véritable politique de pavillon national, un choix à la fois stratégique et économiquement pertinent.
Mais au-delà de la relance du pavillon national, les prérequis industriels nécessaires à la renaissance de la flotte marocaine constituent un tout autre défi. L’idée est donc d’évaluer les capacités industrielles du Royaume pour développer cette flotte de manière autonome. Sur ce point, nos experts estiment que la création d’un pavillon national aura un effet de levier considérable sur l’industrie. Elle dynamisera non seulement les secteurs de la sidérurgie et de la métallurgie, mais surtout l’industrie navale, qui sera appelée à évoluer rapidement.
En effet, le redéploiement d’une marine marchande nationale ne peut se faire sans respecter les normes strictes de la convention SOLAS (sauvegarde de la vie humaine en mer), telles que définies par l’Organisation Maritime Internationale (OMI). Cela implique la mise en place d’un système de visites et de contrôles obligatoires, conformément à la Résolution A.746 de 1993. Les membres de l’Association internationale des sociétés de classification (IACS), à l’image du célèbre Lloyd’s Register, sont les garants de ces contrôles. Leur rôle est déterminant : sans leur certification, les armateurs ne peuvent assurer leurs navires à des taux compétitifs. Ces organismes valident les plans des navires, supervisent leur construction et effectuent des inspections régulières pour garantir la conformité des appareils propulsifs et des structures aux normes en vigueur.
« Pour une flotte de 20 navires de charge, ces contrôles et les réparations d’usage nécessiteraient la mise en place d’un système de chantiers navals capable de fournir près de deux millions d’heures de travail par an, incluant les engins de servitude tels que les dragues, les remorqueurs et les pilotines », estime professeur Najib Cherfaoui, expert maritime.
La réparation navale, secteur à forte intensité de main-d’œuvre, mobilise par ailleurs un large éventail de compétences spécialisées, notamment soudeurs qualifiés, électriciens, tuyauteurs, chaudronniers, échafaudeurs, mécaniciens navals, menuisiers, peintres caréneurs, entre autres. C’est dire que ce chantier peut être le coup de boost de l’emploi tant attendu par les Marocains.
Sa Majesté le Roi Mohammed VI a clairement tracé la feuille de route en définissant les piliers fondamentaux de cette relance. Il ne s’agit pas simplement d’une politique sectorielle, mais d’une approche globale et intégrée aux dimensions géopolitiques affirmées. Le Maroc est à la veille de grands bouleversements. Notre pays a investi énormément dans le secteur des transports, des infrastructures routières, portuaires et ferroviaires. Aujourd’hui, l’heure est venue de combler un manque qui concernait un segment très important, à savoir le transport maritime. C’est un élément manquant dans la chaîne logistique du Maroc.
Le Royaume dispose-t-il des compétences nécessaires pour réussir cette relance ?
Absolument. Le Maroc a atteint une maturité suffisante et possède une expertise solide pour relever ce défi. Il doit désormais franchir le cap et réaffirmer sa souveraineté maritime. L’expérience a prouvé qu’avec une volonté politique affirmée, les projets ambitieux prennent forme rapidement. Si nous parvenons à structurer un écosystème industriel performant et à mobiliser efficacement les acteurs publics et privés, la résurgence du secteur maritime ne sera plus une simple ambition, mais une réalité.
Comment tirer pleinement parti de cette nouvelle approche de politique bleue au Maroc ?
L’économie bleue est au cœur du Nouveau Modèle de Développement, ce qui témoigne de son importance stratégique. Le fait qu’elle s’appuie sur le développement des provinces du Sud renforce encore sa pertinence et ses chances de succès. D’ailleurs, des institutions financières internationales comme la Banque Mondiale allouent déjà des financements spécifiques pour accompagner cette transition. Pour capitaliser sur cette dynamique, nous devons miser avant tout sur le capital humain. Aujourd’hui, un vaste champ d’opportunités s’ouvre à nous. Pour les professionnels du secteur maritime, cette relance s’apparente à une véritable renaissance.
L’autre manifestation de cette guerre de domination, c’est la saturation des circuits de commande en navires et en conteneurs à travers l’investissement des bénéfices dans l’augmentation des capacités. MSC, la plus grande compagnie maritime au monde, a déjà commandé 123 nouveaux navires porte-conteneurs qui s’ajouteront aux 793 qu’elle possède actuellement. De même, le français CMA CGM attend la réception de 114 nouveaux navires, alors qu’il en possède actuellement 612.
Ces nouveaux porte-conteneurs ont tendance à devenir de plus en plus gros, dans le but de réaliser des économies d’échelle. Une course au gigantisme que très peu d’entreprises peuvent soutenir. Une énorme flotte permet également à ces géants maritimes de négocier favorablement le prix du fuel, qui représente annuellement plusieurs milliards de dollars, ainsi que d’obtenir de meilleures primes d’assurance et des accès privilégiés à certains ports, entre autres avantages.