Relance du pavillon national : À quand le rythme de croisière ? [INTÉGRAL]

​En prévision de la co-organisation du Mondial 2030 et de l’afflux de passagers et de marchandises, le Maroc s’attelle à relancer son pavillon national, conformément aux orientations royales. Les études de faisabilité progressent, mais quelques défis restent à surmonter.

Depuis l’annonce de la co-organisation de la Coupe du Monde 2030 entre le Maroc, l’Espagne et le Portugal, le Royaume est devenu un véritable eldorado pour les investisseurs et les acteurs du BTP, qui ont été au centre d’une journée d’étude organisée par les élus istiqlaliens, lundi dernier, à Fès. Si la modernisation des infrastructures sportives est la transformation la plus visible, d’autres secteurs stratégiques, comme le transport terrestre, aérien et maritime, connaissent également un essor déterminant. Dans ce contexte, la question du transport maritime s’impose avec une acuité particulière, avec des milliers de supporters qui seront amenés à traverser la Méditerranée pour assister aux matchs de leurs équipes nationales. D’autant que le Mondial 2030 se déroulera en été, période marquée par le retour massif des Marocains Résidant à l’Étranger (MRE). Pour éviter toute congestion due à la convergence des flux de voyageurs, une planification rigoureuse est de mise dès à présent.
 
Ce dossier n’est certes pas nouveau, mais jamais les perspectives n’ont semblé aussi prometteuses que depuis les directives de Sa Majesté le Roi Mohammed VI dans Son discours de la Marche Verte, exprimant le souhait de voir émerger une flotte nationale de marine marchande « forte et compétitive ». En janvier dernier, plusieurs ministres, dont Nizar Baraka, ministre de l’Équipement et de l’Eau, et Abdessamad Kayouh, ministre du Transport et de la Logistique, ont tenu une réunion avec le cabinet de conseil Boston Consulting Group, chargé d’évaluer le projet. Au cours de cette rencontre, les ministres ont réagi à la présentation en formulant plusieurs observations destinées à optimiser la réussite de l’étude. Kayouh a souligné dans ce sens l’importance d’élargir les concertations avec les départements concernés et d’intégrer les recommandations ministérielles afin d’assurer le succès de ce projet stratégique, qui impacte plusieurs secteurs économiques.
 
Une méthodologie qui s’impose du fait que la création d’une telle flotte permettrait au Royaume de renforcer sa souveraineté maritime et d’élargir son champ d’action, bien au-delà du simple transport. L’économie bleue, qui englobe des secteurs aussi variés que la pêche, le commerce international, la plaisance, la recherche scientifique, la défense et le transport maritime, constituerait un levier majeur de développement.
 
Car oui, malgré une position géographique stratégique et des infrastructures portuaires de premier plan, le Maroc peine encore à exploiter pleinement le potentiel de son secteur maritime. La dépendance aux chantiers navals étrangers demeure un frein, rendant urgente la modernisation de la flotte nationale, la création d’un écosystème maritime intégré et l’investissement dans la construction et la réparation navales. Autant d’enjeux cruciaux à relever pour faire du Royaume un acteur maritime de premier plan.
 
Ce n’est plus un luxe…
 
Pour les professionnels interrogés par nos soins, la réponse est sans équivoque : « Il ne s’agit pas seulement de créer des lignes maritimes supplémentaires avec nos voisins espagnols et portugais, c’est aussi une opportunité unique de doter le Maroc d’un pavillon national digne de ce nom. Cet événement planétaire pourrait ainsi servir de tremplin pour positionner durablement le Royaume dans les chaînes de valeur mondiales, bien au-delà de la Coupe du Monde », confient des acteurs du transport maritime. L’expert maritime Najib Cherfaoui abonde dans ce sens que « le transport maritime constitue une alternative idéale à l’aérien. Ce mode de transport de masse permet aux supporters d’assister aux matchs tout en voyageant avec leurs véhicules ». Une telle approche permettrait au Maroc de proposer une offre de transport complète et solidaire, garantissant un déplacement fluide aussi bien pour les visiteurs étrangers que pour les Marocains, notamment ceux résidant en Europe.
 
Les choses sont à l’identique, du côté commerce. « La flotte marocaine ne compte actuellement qu’une quinzaine de navires, incluant des porte-conteneurs, des ferries et des tankers », rappelle le capitaine Abdelfattah Bouzoubaa, ancien directeur et conseiller du Président de la COMANAV. Un chiffre largement insuffisant pour accompagner les ambitions maritimes du Royaume. Pour cet ancien conseiller de l’Organisation Maritime Internationale (OMI) et fondateur du Moroccan Maritime Museum, il est urgent d’adopter une véritable politique de pavillon national, un choix à la fois stratégique et économiquement pertinent.
 
Boost industriel
 
Mais au-delà de la relance du pavillon national, les prérequis industriels nécessaires à la renaissance de la flotte marocaine constituent un tout autre défi. L’idée est donc d’évaluer les capacités industrielles du Royaume pour développer cette flotte de manière autonome. Sur ce point, nos experts estiment que la création d’un pavillon national aura un effet de levier considérable sur l’industrie. Elle dynamisera non seulement les secteurs de la sidérurgie et de la métallurgie, mais surtout l’industrie navale, qui sera appelée à évoluer rapidement.
 
En effet, le redéploiement d’une marine marchande nationale ne peut se faire sans respecter les normes strictes de la convention SOLAS (sauvegarde de la vie humaine en mer), telles que définies par l’Organisation Maritime Internationale (OMI). Cela implique la mise en place d’un système de visites et de contrôles obligatoires, conformément à la Résolution A.746 de 1993. Les membres de l’Association internationale des sociétés de classification (IACS), à l’image du célèbre Lloyd’s Register, sont les garants de ces contrôles. Leur rôle est déterminant : sans leur certification, les armateurs ne peuvent assurer leurs navires à des taux compétitifs. Ces organismes valident les plans des navires, supervisent leur construction et effectuent des inspections régulières pour garantir la conformité des appareils propulsifs et des structures aux normes en vigueur.
 
« Pour une flotte de 20 navires de charge, ces contrôles et les réparations d’usage nécessiteraient la mise en place d’un système de chantiers navals capable de fournir près de deux millions d’heures de travail par an, incluant les engins de servitude tels que les dragues, les remorqueurs et les pilotines », estime professeur Najib Cherfaoui, expert maritime.
 
La réparation navale, secteur à forte intensité de main-d’œuvre, mobilise par ailleurs un large éventail de compétences spécialisées, notamment soudeurs qualifiés, électriciens, tuyauteurs, chaudronniers, échafaudeurs, mécaniciens navals, menuisiers, peintres caréneurs, entre autres. C’est dire que ce chantier peut être le coup de boost de l’emploi tant attendu par les Marocains.
 

3 questions à El Mostafa Fakhir : « Le Maroc possède une expertise solide pour relever ce défi »
Quel serait l’impact de la relance du pavillon national sur l’écosystème maritime ?

 

Sa Majesté le Roi Mohammed VI a clairement tracé la feuille de route en définissant les piliers fondamentaux de cette relance. Il ne s’agit pas simplement d’une politique sectorielle, mais d’une approche globale et intégrée aux dimensions géopolitiques affirmées. Le Maroc est à la veille de grands bouleversements. Notre pays a investi énormément dans le secteur des transports, des infrastructures routières, portuaires et ferroviaires. Aujourd’hui, l’heure est venue de combler un manque qui concernait un segment très important, à savoir le transport maritime. C’est un élément manquant dans la chaîne logistique du Maroc.
 

Le Royaume dispose-t-il des compétences nécessaires pour réussir cette relance ?

 

Absolument. Le Maroc a atteint une maturité suffisante et possède une expertise solide pour relever ce défi. Il doit désormais franchir le cap et réaffirmer sa souveraineté maritime. L’expérience a prouvé qu’avec une volonté politique affirmée, les projets ambitieux prennent forme rapidement. Si nous parvenons à structurer un écosystème industriel performant et à mobiliser efficacement les acteurs publics et privés, la résurgence du secteur maritime ne sera plus une simple ambition, mais une réalité.
 

Comment tirer pleinement parti de cette nouvelle approche de politique bleue au Maroc ?

 

L’économie bleue est au cœur du Nouveau Modèle de Développement, ce qui témoigne de son importance stratégique. Le fait qu’elle s’appuie sur le développement des provinces du Sud renforce encore sa pertinence et ses chances de succès. D’ailleurs, des institutions financières internationales comme la Banque Mondiale allouent déjà des financements spécifiques pour accompagner cette transition. Pour capitaliser sur cette dynamique, nous devons miser avant tout sur le capital humain. Aujourd’hui, un vaste champ d’opportunités s’ouvre à nous. Pour les professionnels du secteur maritime, cette relance s’apparente à une véritable renaissance.

​Marché national : Oligopole historique
Depuis plus d’un demi-siècle, quatre armateurs contrôlent plus de 50% du transport maritime de conteneurs (90% du fret). Il s’agit de MSC, Maersk, CMA CGM et Cosco. Des centaines d’autres entreprises se partagent les miettes, et n’arrivent pas à rivaliser avec les majors en termes de prix, de capacités et de lignes maritimes. Selon les professionnels interrogés par « L’Opinion », l’accès à ce secteur deviendra de plus en plus difficile pour les nouveaux arrivants dans les prochaines années. En 2021, année de reprise économique post-Covid, les cinq principales compagnies maritimes ont totalisé un bénéfice historique de 64,25 milliards de dollars. Cette surface financière leur a permis de lancer une guerre des prix afin d’asphyxier toute concurrence, notamment via le dumping. Entre autres exemples de cette guerre des prix, il est désormais possible d’acheminer ou d’envoyer un conteneur de et vers la Turquie, gratuitement, pour l’unique raison que certains gros armateurs tentent aujourd’hui de faire plier de jeunes prétendants turcs qui les avaient concurrencés au lendemain de la crise du Covid.
 
L’autre manifestation de cette guerre de domination, c’est la saturation des circuits de commande en navires et en conteneurs à travers l’investissement des bénéfices dans l’augmentation des capacités. MSC, la plus grande compagnie maritime au monde, a déjà commandé 123 nouveaux navires porte-conteneurs qui s’ajouteront aux 793 qu’elle possède actuellement. De même, le français CMA CGM attend la réception de 114 nouveaux navires, alors qu’il en possède actuellement 612.
 
Ces nouveaux porte-conteneurs ont tendance à devenir de plus en plus gros, dans le but de réaliser des économies d’échelle. Une course au gigantisme que très peu d’entreprises peuvent soutenir. Une énorme flotte permet également à ces géants maritimes de négocier favorablement le prix du fuel, qui représente annuellement plusieurs milliards de dollars, ainsi que d’obtenir de meilleures primes d’assurance et des accès privilégiés à certains ports, entre autres avantages.

Crédit maritime : L’autre défi de l’industrie navale
En 2024, le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE) a appelé dans un rapport à améliorer la gouvernance du secteur et à développer des compétences locales. Aussi foisonnant que l’enjeu qu’il traite sur une bonne partie de ses pages, le rapport s’avère cependant comme une porte d’entrée vers un sujet bien plus complexe qui dépend de plusieurs facteurs exogènes, structurels, réglementaires et multisectoriels. Des dimensions qui ont été prospectées lors de la présentation officielle du CESE, qui a permis d’expliquer l’approche méthodologique et la substance du rapport, tout en évoquant des sujets connexes additionnels qui influent sur le secteur naval national. C’est le cas, par exemple, des enjeux liés au financement des porteurs de projets. « J’ai depuis plusieurs décennies appelé à la création d’un crédit maritime à l’image d’un crédit agricole », nous déclare Hassan Sentissi, pionnier de l’industrie navale au Maroc. L’idée serait de demander à chaque banque de réserver 1 à 5% de ses dépôts pour encourager l’investissement d’acteurs locaux. La Caisse Centrale de Garantie pourrait également s’impliquer pour soutenir cette dynamique.

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