Rétro-Verso : La longue Histoire des Rois du Maroc avec les Papes

La mort du Pape François, lundi, ravive le souvenir du jour où Jean-Paul II et Hassan II ont incarné la paix. Retour sur ce moment historique du vivre-ensemble intercommunautaire.

Par un après-midi d’août 1985, Casablanca fut le théâtre d’une rencontre historique aux résonances profondes : celle du Souverain Pontife Jean-Paul II et de feu Sa Majesté Hassan II, Roi du Maroc. Cette entrevue marquant le troisième voyage africain du Saint-Père ne fut point un simple passage diplomatique, mais une main tendue entre deux rives, entre la Croix et le Croissant, entre Rome et Rabat, dans l’esprit lumineux du Concile Vatican II.
 
Le 19 août 1985, plus précisément, l’avion papal fend le ciel africain pour se poser à Casablanca, et à sa descente, un geste frappa tous les esprits : Jean-Paul II s’agenouilla et baisa le sol du Royaume. « C’est un acte d’humilité et de révérence qui fut perçu par les Nationaux comme un signe de respect profond envers notre terre et nos valeurs », lance d’emblée l’historien et professeur universitaire Noureddine Belhaddad. « À l’accueil, le défunt Hassan II, Souverain charismatique à la stature diplomatique reconnue, le salua fraternellement, témoignant d’un accueil au-delà du protocole, c’est-à-dire un accueil d’humain à humain, de foi à foi », commente le fin-connaisseur de l’histoire du Maroc.
 
Ce moment, en apparence bref, s’inscrivit dans une séquence historique plus vaste. Depuis le collège Charles de Foucauld, sanctuaire de la communauté catholique marocaine, jusqu’au cœur vibrant du stade Mohammed V, chaque étape du Pape fut pensée comme un signe : celui de la rencontre et du témoignage.
 
Au collège, Jean-Paul II célébra la messe entouré des archevêques de Rabat et de Tanger. Son homélie, prononcée avec ferveur, salua les chrétiens vivant au Maroc, soit une minorité discrète mais fidèle. Il les exhorta à devenir « des ponts entre des traditions différentes », reprenant l’image du lien, du passage, de la médiation… autant de mots résonnant dans ce pays dont l’histoire fut toujours un carrefour entre Orient et Occident, Nord et Sud.
 
Ce jour-là, le Pape, louant la foi, la piété et la charité des fidèles musulmans, incita les siens à contempler avec respect les vertus de l’autre, à dépasser les frontières de la doctrine pour s’ouvrir à une fraternité vécue. En une époque encore hantée par les crispations identitaires et les relents de colonialisme, cette voix résonnait comme un appel à la raison.
 
Mais c’est au Palais Royal de Rabat que se produisit l’instant le plus solennel, dans l’intimité d’un tête-à-tête de cinquante minutes, quand le Saint Pontife et le défunt Roi s’entretinrent en hommes de vision. Le contenu précis de leur échange reste voilé de la discrétion d’usage, mais l’image transmise fut éclatante : un Pape et un Roi, représentant chacun une foi universelle, discutant de paix. À la suite de cet entretien, le Roi présenta au Saint-Père le Conseil supérieur des Oulémas du Maroc. Ce fut, comme en témoigne les écrits historiques, « un geste d’une portée symbolique rare, plaçant les savants de l’Islam face au chef de l’Église catholique, dans un face-à-face pacifique et respectueux ».
 
Le point d’orgue de cette visite historique fut sans doute la rencontre au stade Mohammed V. Devant 90.000 citoyens marocains, feu Hassan II, dans une allocution vibrante, rappela le sens de cette rencontre : tisser les fils de l’amour et de la concorde. Ce fut alors au tour du Saint-Père de s’adresser à la jeunesse musulmane, avec audace et tendresse en parlant d’Abraham, patriarche commun des deux religions, de la foi unique en un Dieu vivant et miséricordieux, de la responsabilité morale de chaque individu face au monde.
 
 
Le soir venu, le Pape regagna l’aéroport. À 22h30, son avion s’éleva vers Rome. Mais dans le ciel de Casablanca, quelque chose avait changé. Ce bref passage de Jean-Paul II n’avait pas été une simple visite diplomatique, mais un acte de foi en l’Homme, de foi en Dieu et de foi en l’avenir.
 
Cette journée d’août 1985 demeure, dans les annales du dialogue interreligieux, comme un jalon précieux, puisqu’elle symbolise un moment où le verbe fut paix et le geste fraternité. « Feu Hassan II, dans Sa sagesse politique et Son art du verbe, offrit au monde l’image d’un Islam accueillant, curieux et ouvert, et Jean-Paul II inscrivit son pontificat dans l’horizon du rapprochement spirituel et culturel », conclut le professeur universitaire Noureddine Belhaddad.
 
Et l’on retiendra dans les annales de l’Histoire que ce mois d’août 1985, sur le tarmac de Casablanca, reste le flambeau d’une paix possible, où les grandes âmes ne se défient point, mais se rencontrent, se reconnaissent et s’unissent.
 

3 questions à Noureddine Belhaddad : «Le défunt Roi Hassan II considérait les valeurs humaines comme fondamentales»
En 1985, Jean-Paul II rencontre Feu Hassan II au Maroc. Comment cet événement symbolique a-t-il été perçu ?  
 
-Cette visite demeure cruciale pour les relations interreligieuses et interculturelles. Lorsque le Pape s’agenouilla et embrassa le sol marocain, il marquait son respect et son admiration pour la Terre de la tolérance, un geste d’humilité et de reconnaissance envers la culture et l’Histoire du Maroc. Feu Hassan II, de Son côté, a fait preuve d’une grande ouverture d’esprit, soulignant à travers Ses paroles et Ses gestes qu’Il privilégiait le dialogue, la paix et le respect mutuel entre les religions. Lors de cette rencontre, Il a notamment insisté sur la nécessité de la précision dans le discours et dans les actes, tout en encourageant la coopération internationale pour la paix et la compréhension mutuelle.
  Quelle était la vision de Feu Hassan II du dialogue interreligieux, au Maroc et ailleurs ?  
 
Le défunt Roi Hassan II considérait les valeurs humaines comme fondamentales pour garantir une coexistence pacifique et harmonieuse entre les différentes communautés religieuses. Le Souverain prônait une approche de respect mutuel, d’écoute et de compréhension, loin de l’intolérance et des préjugés et voyait dans le Maroc un modèle de tolérance, où les communautés musulmanes, juives et chrétiennes coexistaient depuis des siècles dans une relative harmonie.
  Quels points communs voyez-vous entre les visites, au Maroc, du Pape Jean-Paul II en 1985 et celle du Pape François 1er en 2019 ?  
 
La visite du Pape François en 2019 a repris le même message que celle de Jean-Paul II : tolérance, paix et dialogue entre religions. Elle a renforcé les liens entre le Vatican et le Maroc, et prolongé la vision de Feu Hassan II d’un vivre-ensemble fondé sur le respect mutuel. Ces deux visites ont marqué des étapes clés dans la promotion de la coexistence interreligieuse.
 

Flashback : Une visite papale aux airs d’antan
Les 30 et 31 mars 2019, le regretté Pape François effectuait son 28ème voyage apostolique, cette fois au Maroc. Ce déplacement, désormais inscrit dans l’histoire de son pontificat, portait l’empreinte forte de son engagement en faveur du dialogue interreligieux, un axe majeur de son enseignement spirituel et diplomatique. Jusqu’à la fin, le défunt souverain pontife aura œuvré pour tisser des liens entre les traditions religieuses, dans un esprit de paix, de fraternité et de respect mutuel.
 
Accueilli à Rabat par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, François fut reçu avec la solennité due à une haute autorité spirituelle. Fidèle à son message d’unité, il a rappelé dès son arrivée que «cultiver l’ouverture, le respect et la coopération» était aujourd’hui plus que jamais une nécessité. Il affirmait que «la foi authentique en Dieu conduit toujours à l’amour, jamais à la haine», une conviction qu’il a portée tout au long de son pontificat.
 
En référence à son prédécesseur Jean-Paul II, venu au Maroc en 1985, François évoquait lui-même marcher «sur les traces du défunt Jean-Paul II», mais en inscrivant résolument son action dans le présent. À travers des rencontres avec des responsables religieux musulmans, des jeunes, des migrants et la communauté catholique locale, il a démontré une volonté de bâtir une fraternité humaine concrète et enracinée dans l’écoute réciproque.
 
Devant la jeunesse marocaine, le Pape a lancé un appel vibrant qui restera dans les annales en les exhortant à être des bâtisseurs de ponts et non de murs. Il soulignait également que la liberté religieuse, leitmotiv de son pontificat, ne se limite pas à la tolérance, mais implique la reconnaissance active de l’autre dans sa foi et sa dignité.
 
Cette visite a permis de consolider les liens entre le Royaume du Maroc et le Saint-Siège (des relations diplomatiques établies en 1976) et de réaffirmer l’importance d’un dialogue islamo-chrétien sincère et durable. Ce voyage s’inscrit dans la continuité d’initiatives majeures comme la signature du Document sur la fraternité humaine, coécrit avec le grand imam d’Al-Azhar en 2019 à Abou Dhabi.
 
Comme le rapporte le site officiel du Vatican, cette visite fut un moment de grâce, à la fois mémoriel et prophétique, et le Pape François, dans l’humilité et la fermeté de sa foi, a laissé un témoignage puissant: celui d’un homme de paix convaincu que la fraternité n’est pas un rêve, mais un horizon nécessaire.
 
 

Historiographie : Les temps forts d’une rencontre épique
Le 19 août 1985, au stade Mohammed V de Casablanca, Jean-Paul II a marqué les esprits de dizaines de milliers de Marocains. Ce jour-là, il a surpris et ému la foule dès ses premiers mots. En prononçant en arabe « Assalamou alaykoum », ou que la paix soit sur vous pour rester francophone, il a montré comme il se doit qu’il venait en ami et frère, dans le respect entier de son public. Ce simple salut, dans la langue officielle du pays, a créé une proximité immédiate à travers laquelle il n’a pas été perçu comme un discours protocolaire. Il a, somme toute, permis d’installer une confiance rare dans une rencontre aussi importante.
 
Ensuite, dans un français simple et direct, Jean-Paul II a lancé appel à la paix, à l’importance de l’éducation et au respect du vivre-ensemble inter-religieux et intercommunautaire. Il n’était pas venu pour prêcher ou convaincre, mais pour témoigner de l’amour à l’égard de ses frères dans l’humanité. Il a évoqué Abraham, figure de proue des croyants des deux religions, pour rappeler ce que chrétiens et musulmans partagent : la foi en Dieu, l’importance de la prière et la recherche du bien.
 
Ce moment a profondément marqué les esprits, car voir un pape accueilli par le Roi Hassan II, s’adresser à la jeunesse marocaine dans un climat de respect et de calme, avait quelque chose d’inédit et de fort. Jean-Paul II, sans chercher à gommer les différences, a su transmettre l’idée qu’un véritable échange peut naître même entre des traditions éloignées, pourvu qu’il repose sur l’écoute, la sincérité et la reconnaissance de l’autre. En parlant avec la force tranquille d’un homme de foi animé par le désir de paix, il a posé un geste qui a été perçu comme un tournant, une manière nouvelle de se rencontrer, à hauteur d’homme, au-delà des barrières religieuses. Pour beaucoup, cette rencontre a laissé une empreinte durable, comme le souvenir d’un instant rare où les convictions n’étaient pas un mur, mais un point de départ pour mieux se comprendre.
 

Faits-marquants : Le dialogue inter-religieux, pilotis de la dynastie alaouite
Certains récits contemporains veulent cantonner l’amitié islamo-chrétienne à quelques visites papales, mais il n’en est rien. Déjà, sous les règnes successifs de Moulay Mohammed ben Ismaïl (qui a régné en 1736) et de son frère Moulay Abdallah ben Ismaïl (qui a eu droit à des règnes intermittents entre 1729 et 1757), le Maroc alaouite a posé les bases concrètes d’un dialogue interreligieux avec l’Europe. Ce dialogue, loin d’être idéologique, prenait corps à travers la course maritime, considérée comme une résistance légitime face aux puissances coloniales. Mais derrière cette activité se déployait une diplomatie subtile : lorsque les Sultans restituaient des biens ou libéraient des captifs européens, les chefs d’État européens répondaient par des gestes équivalents. Cette réciprocité fondait une forme de reconnaissance mutuelle, ancrée dans la justice plus que dans les mots.
 
Moulay Abdallah perpétua cette tradition. Il pratiquait la restitution de navires ou la libération de captifs chrétiens lorsque les accords étaient respectés, consolidant ainsi une approche marocaine du dialogue interreligieux, fondée sur l’équilibre et la dignité.
 
Son fils, Mohammed ben Abdallah (règne de 1757 à 1790), poursuivit cet héritage en nouant des relations pacifiques avec diverses puissances et en étant le premier chef d’État à reconnaître l’indépendance des États-Unis. Même Moulay Yazid (règne de 1790 à 1792), malgré un pouvoir plus instable, ne rompit pas entièrement ce fil diplomatique. À travers ces Souverains, le dialogue islamo-chrétien s’est enraciné dans l’histoire marocaine comme un acte de souveraineté, de justice et de respect de l’autre.

À propos

Check Also

Hammouchi reçoit le responsable du renseignement à la Garde civile espagnole

Le Directeur général de la Sûreté nationale et de la Surveillance du Territoire, Abdellatif Hammouchi, …

Laisser un commentaire