Il est des places qui racontent une histoire, sans encre ni parole. La place centrale de la Capitale de l’Oriental n’en fait pas exception. Tour d’horizon d’un lieu forgé de mémoire et de renouveau.
Située en plein cœur du chef-lieu de l’Oriental, cette place est plus qu’un simple espace urbain. Elle est le témoin de l’Histoire complexe de la ville, de ses transformations profondes et de son attachement aux symboles nationaux. Pour comprendre son importance actuelle, il faut revenir sur son passé, depuis la période du protectorat français jusqu’à sa réhabilitation en 2008.
Durant le protectorat français (1912-1956), Oujda, ville stratégique à la frontière algérienne, connut un développement urbain important, au point que les autorités coloniales ont aménagé plusieurs places et avenues pour structurer la ville selon les standards de l’époque. Ce fut le cas de la Place d’Armes (nom faisant référence aux fonctions militaires et aux rassemblements des troupes dans le Centre-ville) qui deviendra plus tard la Place du 16 Août. À cette époque, ce spot servait de carrefour central, un point de passage obligé pour les habitants et les visiteurs.
Qu’on se le dise : cette place joua un rôle important dans la vie quotidienne, accueillant des marchés, des rassemblements et des manifestations publiques. Elle fut aussi un lieu où se croisèrent les cultures, témoignant des échanges entre les populations locales et les colons français. Cependant, comme beaucoup d’espaces publics du protectorat, elle était avant tout un symbole du contrôle colonial et de l’ordre imposé.
Lieu de mémoire et de rassemblement
Avec l’indépendance du Royaume en 1956, la Cité de l’Oriental et sa place centrale entrèrent dans une nouvelle phase. La place, devenue un espace public marocain, perdit ses noms coloniaux pour adopter des appellations qui reflétaient les aspirations nationales et la mémoire collective.
Dans les décennies qui suivirent, la place devint un lieu privilégié pour les rassemblements populaires, les célébrations nationales et les événements politiques. Elle fut souvent le théâtre de commémorations et d’hommages aux figures de la lutte pour l’Indépendance. Cependant, au fil du temps, l’espace montra les signes du vieillissement et du manque d’entretien, souffrant d’un aménagement dépassé qui ne répondait plus aux besoins croissants de la population.
Par ailleurs, la place et ses environs furent témoins de la dynamique sociale et économique de la ville, notamment avec la montée de l’activité commerciale dans les quartiers adjacents. Malgré son rôle central, elle peinait à s’imposer comme un véritable lieu de vie urbaine moderne.
Volonté de réhabilitation et symbolique du 16 août
Au début des années 2000, dans le cadre d’un vaste programme national de modernisation urbaine piloté par la Monarchie, la ville marocaine se vit attribuer plusieurs projets de mise à niveau. Ces initiatives visaient à revitaliser les centres villes, améliorer les infrastructures publiques et renforcer l’identité locale.
La réhabilitation de l’ancienne « grande place » s’inscrivit dans cette dynamique. En 2008, la décision fut prise de la rebaptiser en hommage à une date importante de l’Histoire nationale. Ce baptême était une volonté claire d’associer le lieu à la mémoire collective, en rappelant l’attachement du Maroc à ses valeurs d’unité et de stabilité.
Le 3 juillet 2008, la Place du 16 Août fut inaugurée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, signe fort de l’importance accordée à ce projet dans la stratégie globale de développement urbain et de valorisation du patrimoine symbolique. La présence Royale souligna la volonté du Royaume de préserver sa mémoire tout en préparant l’avenir.
« Aujourd’hui, nous trouvons dans ce nouvel espace de vie urbaine des cafés, des restaurants, des commerces divers et des bâtiments administratifs. C’est l’endroit parfait pour se requinquer les batteries avant d’entamer une rude journée qui commence », témoigne Mourtada Touati, professeur de langue arabe et Oujdi jusqu’à la moelle.
L’inauguration officielle s’est tenue le 3 juillet 2008, au cours d’une visite Royale à Oujda marquée par plusieurs projets structurants. Sa Majesté le Roi Mohammed VI, accueilli par un détachement de la Garde Royale, a procédé à la découverte de la plaque commémorative et a pris connaissance des détails du projet. Étaient présents le ministre chargé de l’Habitat, de l’Urbanisme et de l’Aménagement de l’espace, le Wali de la région de l’Oriental, le gouverneur de la préfecture d’Oujda-Angad, le président du Conseil communal, ainsi que plusieurs élus et responsables locaux.
Le projet de réaménagement de la place, d’une superficie de 5000 m², a représenté un investissement de 6,56 millions de dirhams, financé par le ministère chargé de l’Habitat, de l’Urbanisme et de l’Aménagement de l’espace. Les travaux ont porté sur l’aménagement d’espaces piétonniers confortables, la mise en place d’aires de repos, l’installation d’équipements adaptés et l’embellissement paysager. L’objectif était de faire de cet espace un lieu fonctionnel, sûr et agréable, répondant aux besoins des habitants tout en s’intégrant harmonieusement au tissu urbain.
Aujourd’hui, cette place est pleinement intégrée dans le paysage urbain de la ville et accueille habitants et visiteurs, offrant un espace à la fois pratique et symbolique. Par sa conception et par son nom, elle perpétue la mémoire d’un moment important de l’Histoire contemporaine, tout en illustrant l’engagement continu pour un Maroc moderne, prospère et fidèle à ses fondements.
Rappelons qu’il y a un an, à l’occasion de la même commémoration le Haut-commissaire aux anciens résistants et anciens membres de l’armée de libération, Mustapha El Ktiri, a indiqué que le soulèvement du 16 août 1953, qui a incarné une épopée éternelle et un tournant décisif dans l’Histoire nationale, est une source de fierté et ses leçons de courage, de détermination et de patriotisme doivent être transmises aux générations montantes. Il a souligné dans ce sens les significations profondes de ce soulèvement qui a été minutieusement préparé par le Mouvement national et la résistance d’Oujda, et qui est l’exemple éloquent de la solidarité, de l’unité et de la cohésion entre le sommet et la base au niveau local et national, chaque fois que cela est nécessaire, pour défendre l’intégrité et la dignité de la patrie. Le soulèvement de la population d’Oujda contre l’occupant le 16 août 1953 restera à jamais un événement phare dans la mémoire de la nation marocaine, et une épopée glorieuse sur le chemin de l’indépendance du Maroc.
Dans ses études, il souligne que l’évolution de la ville ne peut être dissociée de sa position géographique à la frontière algérienne, un facteur qui influence fortement ses transformations urbaines. La ville est ainsi perçue comme un espace stratégique où se croisent des intérêts nationaux, régionaux et internationaux. Pour A. Abderrahmane, cette particularité a façonné une urbanisation qui n’est pas seulement fonctionnelle, mais aussi politique, car elle traduit des réponses aux défis sécuritaires, économiques et sociaux liés à la frontière.
Par ailleurs, l’historien analyse la période post-indépendance comme un moment charnière où Oujda a connu une volonté renouvelée de réaffirmation identitaire, notamment à travers la restructuration de ses espaces publics et la marocanisation des noms de rues. Il montre que cette dynamique ne relève pas uniquement d’une politique symbolique, mais s’accompagne de transformations profondes dans la vie urbaine et sociale, en particulier dans les quartiers populaires. La marocanisation des noms de rues est ainsi pour lui un vecteur de mémoire collective et d’intégration nationale, renforçant le sentiment d’appartenance des habitants à l’État marocain.