Rétro-Verso : L’aéroport Rabat-Salé ou le décollage d’une saga méconnue

Si l’aviation marocaine trace aujourd’hui un avenir ambitieux, c’est qu’un passé sous domination l’a poussée à s’élever librement et à affirmer ses ambitions avec l’extension des capacités de ses aéroports.

 
Alors que le Maroc affirme ses ambitions aéronautiques avec éclat, à travers l’extension des capacités de ses aéroports, les programmes de formation de pilotes, et son rôle croissant dans l’industrie aéronautique mondiale, l’Histoire, elle, bruisse encore sous les tarmacs. Une Histoire enracinée dans la poussière d’un passé colonial, à la croisée des vents de la guerre et des rêves de ciel libre. Les grands chantiers d’aujourd’hui nous obligent à plonger dans l’héritage d’hier, car c’est sur le plateau balayé par l’Atlantique, entre Rabat et Salé, que se dessine un chapitre oublié : celui de la base aérienne 151 dite «Commandant Max Guedj».
 
Établie en 1938, cette base militaire française s’inscrit dans la logique impériale du protectorat. Sur les hauteurs du Bouregreg, dans la lumière blanche de la Meseta marocaine, elle prolonge probablement l’emplacement d’un aérodrome de tourisme, vestige de l’aviation des colons et de leurs loisirs aériens. Mais très vite, les vents de guerre balayent toute insouciance.
 
À l’heure du débarquement allié en Afrique du Nord en novembre 1942 (l’opération Torch décrite par Yves Buffetaut (1996) comme un tournant stratégique) Rabat-Salé devient un pivot, en s’alignant, alors, un éventail de moyens aériens français : chasseurs Curtiss H75, bombardiers LéO 45, transports Farman, Potez, et escadrilles de reconnaissance. Une mosaïque d’escadrons qui témoigne de l’imbrication des forces aériennes vichystes dans l’échiquier d’une guerre mondiale, et d’un territoire marocain instrumentalisé pour des luttes qui ne sont pas, encore, les siennes.
 
En avril 1947, c’est le prestigieux régiment de chasse Normandie-Niémen qui prend ses quartiers sur la base. Ces aviateurs, glorifiés pour leurs combats aux côtés des Soviétiques sur le front de l’Est, viennent prolonger leur histoire à Salé, sous le commandement du capitaine Léon Cuffaut. L’Histoire retiendra l’audace, mais oubliera que ces pilotes, auréolés de gloire, s’entraînaient encore sur un sol qui ne leur appartenait pas.
 
Le 1er janvier 1950, la création du Centre d’Entraînement des Réserves de l’Armée de l’Air (CERAA) vient institutionnaliser la pérennité militaire de la base. Ce centre reprend les traditions de l’Escadrille Régionale de Chasse 573, fondée en 1938 à Rabat, comme le détaille Danielle Lagouarde (1991), dans son travail sur les insignes des bases françaises au Maroc. L’ancrage symbolique est fort, presque identitaire.
 
De 1952 à 1960, alors que le ciel marocain bruisse des aspirations à l’indépendance, l’École de chasse de Meknès utilise les installations de Rabat. Les avions sont plus modernes, les pistes trop courtes à Meknès, l’infrastructure coloniale, quant à elle, s’adapte et se recycle. Le Groupe de Chasse de Nuit I/30 Lorraine, avec ses Mosquito, y stationne aussi, et jusqu’à la veille de l’indépendance, la 8ème Escadre de Chasse (escadrons 1/8 Maghreb et 2/8 Languedoc, sur Mistral et Mystère IV A) garde la base vivante, nerveuse et martiale.
 
Il faudra attendre le 21 février 1961 pour que la base soit officiellement dissoute. Trop tard, sans doute, pour certains. Forte de sa résilience, la souveraineté marocaine a dû attendre que l’Histoire se vide de ses avions pour réinvestir ses lieux.
 
Aujourd’hui, l’Aéroport international de Rabat-Salé se dresse sur les ruines modernisées de cette base, alors que le souvenir est enfoui sous le béton des pistes civiles. Les recherches de Patrice Ertlé (1997) sur l’École de l’aviation de chasse rappellent que ces sites, de nos jours transformés, ont été des lieux d’apprentissage de la guerre, mais aussi de l’hégémonie.
 
Revisiter l’histoire de Rabat-Salé, c’est ne pas céder à l’amnésie confortable. C’est reconnaître que les avions d’hier ne portaient pas seulement des cocardes françaises, mais aussi les stigmates d’un territoire soumis. Dans les rugissements mécaniques des moteurs LéO 451 ou des Mosquito, il y avait le bruit sourd d’une domination. Et si aujourd’hui le Maroc s’élance à nouveau dans le ciel, c’est aussi pour s’arracher à cette mémoire pesante, pour réécrire l’Histoire à la verticale, en s’envolant de ses propres ailes.
 

Projets : Aux grands chantiers, les grands challenges !

Le secteur de l’aviation au Maroc est en pleine transformation, étant confronté à des défis majeurs grâce à des projets ambitieux lui permettant de renforcer sa position stratégique. L’Office National des Aéroports (ONDA) a, d’ailleurs, dévoilé en février 2025 sa stratégie « Aéroports 2030 », visant à moderniser et étendre les infrastructures aéroportuaires du pays. Un projet phare de cette initiative est la construction d’un nouveau terminal à l’aéroport Mohammed V de Casablanca, conçu pour fonctionner comme un hub avec une capacité annuelle de 20 millions de passagers. Ce terminal, dont l’achèvement est prévu pour 2029, représente un investissement estimé à 15 milliards de dirhams.

 

Parallèlement, Royal Air Maroc (RAM) prévoit d’accroître sa flotte de 50 à 200 appareils d’ici 2037, avec plus de 100 avions opérationnels dès 2030. Cette expansion nécessite une coordination étroite avec l’ONDA pour assurer que les infrastructures aéroportuaires puissent accueillir cette croissance.

 

Le Maroc s’efforce également de devenir un centre manufacturier dans l’industrie aéronautique. Des entreprises comme Airbus considèrent le Royaume comme un partenaire stratégique, contribuant à 70% de l’industrie aéronautique marocaine, avec un chiffre d’affaires dépassant le milliard d’euros en 2023. Cette collaboration souligne l’importance du Maroc dans la chaîne d’approvisionnement mondiale de l’aviation.

 

Cependant, le secteur doit relever plusieurs défis. La sécurité aérienne est une priorité, et le Maroc a récemment accueilli des forums internationaux, tels que le « Safer Skies », pour discuter des moyens de protéger les vols civils opérant à proximité ou au-dessus des zones de conflit.

 

Le Maroc est, donc, à un tournant décisif dans le développement de son secteur aéronautique. Les projets d’infrastructure ambitieux, l’expansion de la flotte nationale et les partenariats stratégiques avec des géants de l’industrie positionnent le Royaume comme un acteur clé de l’aviation en Afrique et au-delà.

Rétrospective : Il était une fois… le quartier de l’Aviation !
À Rabat, un quartier discret porte encore les échos d’une époque oubliée. Aujourd’hui dominé par les institutions, les ambassades et les hôtels de luxe comme l’actuel Sofitel (Hilton anciennement) ou ce que l’on nomme le «quartier administratif» fut autrefois… le quartier de l’Aviation.
 
Ce nom relève bel et bien d’une réalité historique, car lors de la période du protectorat français, cette zone de la capitale marocaine avait une fonction clairement définie : servir d’épicentre à l’organisation aérienne militaire. Elle était, en effet, à proximité immédiate de l’aérodrome initial de Rabat, un terrain sommaire qui, dans les années 1920-1930, permettait aux petits avions de tourisme et aux appareils militaires légers de se poser sur les hauteurs sablonneuses de la ville. Ce terrain, modeste au départ, aurait été progressivement aménagé pour répondre aux besoins de l’Armée de l’air française.
 
Les cartes et les témoignages anciens désignent cet espace comme le «quartier de l’Aviation» car il accueillait non seulement des installations aéronautiques, mais aussi les logements du personnel militaire, surtout si l’on sait que ce lieu servait de base arrière à ceux qui opéraient depuis ou vers la base aérienne plus importante de Rabat-Salé (BA 151), distante de quelques kilomètres seulement. On y trouvait également des services techniques, des bureaux, et surtout les villas de hauts gradés, bâties dans le style néo-mauresque prisé des architectes coloniaux.
 
Ce quartier était conçu selon la logique urbaine coloniale, comme l’explique bien la structure des anciens quartiers français de Rabat : hiérarchisé, ordonné et verdoyant. Les officiers de l’armée y résidaient dans des maisons cossues avec jardins. Le célèbre Jardin des Roses (aujourd’hui attraction du Sofitel) faisait alors partie de cet aménagement paysager soigneusement pensé pour séduire les élites françaises et leur offrir un cadre de vie aussi confortable que stratégique.
 
La disparition progressive de cette vocation aérienne s’est opérée après l’indépendance du Maroc en 1956. Le quartier a été rebaptisé «quartier administratif», en cohérence avec sa nouvelle fonction au service de l’État marocain souverain. Mais les pierres, elles, n’oublient pas. Les anciens bâtiments, les tracés des rues, et les archives évoquent encore cet âge où le ciel de Rabat bruissait de moteurs à pistons.
 
Aujourd’hui, derrière les façades modernisées et les palmiers soigneusement taillés, le quartier de l’Aviation demeure une strate de mémoire enfouie. Une page d’histoire urbaine et militaire qui mérite d’être relue, non pour glorifier un passé colonial, mais pour comprendre comment les lieux se transforment, se réapproprient, et deviennent témoins d’une ville en mouvement.
 
 

Archives : Les fragments d’une mémoire retrouvée

Dans le cadre des recherches et des contributions relatives à l’histoire de l’aviation militaire française, plusieurs échanges et informations ont été partagés au sein des publications historiques. L’un de ces échanges concerne le 37ème Régiment d’Aviation (RA), dont les escadrilles ont joué un rôle crucial dans l’aviation de reconnaissance et d’attaque en Afrique du Nord pendant l’entre-deux-guerres. C’est dans ce contexte que Franck Roumy a contribué à l’archivage et à la clarification de certains événements et détails liés à la présence de ce régiment au Maroc, notamment les affectations des escadrilles et les dates de prise de commandement de certains officiers.

 

Ainsi, dans ses contributions au site Traditions-air.fr, datées de 2011 concernant le 37ème Régiment d’Aviation, Franck Roumy évoque notamment un aviateur affecté à la 1ère escadrille du 37ème RA basée à Fez, dès 1924, et une photographie qui, selon lui, aurait été prise entre 1922 et 1923. Ce type d’analyse permet de préciser les périodes exactes d’activité et d’affectation des escadrilles, tout en ajoutant des éléments supplémentaires à la chronologie de l’aviation au Maroc pendant cette période.

 

L’examen des escadrilles du 37ème RA en 1925 met en lumière la répartition géographique des forces aériennes françaises dans la région, notamment à Fès, Taza et Beni Malek, contribuant ainsi à une meilleure compréhension des mouvements militaires dans la région durant cette période clé de l’entre-deux-guerres.

 

Ces travaux illustrent les efforts continus pour documenter et préserver l’Histoire de l’aviation militaire, souvent fragmentée et sujette à des révisions ou corrections, comme cela a été le cas pour l’insigne de la V555, dont la datation et l’origine ont été discutées.

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