De la Fiat 600 des années 60 aux applications mobiles d’aujourd’hui, les taxis rouges de Casablanca racontent l’histoire d’une métropole en mutation, où chaque course est un fragment de vie partagée. Marche arrière…
Dans l’agitation perpétuelle de Casablanca, ils sont là, fidèles au poste : les petits taxis, ces bolides rouges familiers, tracent leur route comme les veines d’un organisme vivant. Plus qu’un simple moyen de transport, ces voitures sont des capsules de vie, témoins d’un demi-siècle de transformations urbaines et sociales dans cette métropole bouillonnante.
Cette aventure a commencé dans les années 1960, quand la Fiat 600 a fait ses premiers tours de roue dans une Métropole en pleine expansion. Ces petites italiennes, vives et maniables, se glissèrent dans les artères encore fraîches de la ville. À cette époque, elles symbolisent l’essor d’une cité qui regardait vers l’avenir, tout en portant sur leurs banquettes les espoirs et les tracas de ses habitants.
Les années passent, et les modèles évoluent : les Renault 12 et Peugeot 504 des années 1980 marquent une montée en gamme. Les années 1990 ont vu décupler le nombre de ces véhicules français et italiens. Aujourd’hui Casablanca compte près de 9000 taxis rouges dont des Dacia Logan fabriqués au Maroc, dans l’usine de Renault à Tanger ou à Somaca (Casablanca).
Aux portes du nouveau millénaire, les taxis de la Cité blanche sont devenus synonymes d’embouteillages infernaux.
Dans ces taxis, c’est toute une vie qui défile. Des conversations légères ou intimes, des disputes, des histoires d’amour, des rêves murmurés à l’oreille d’un chauffeur. Exit les années où elles étaient perçues comme des «outils», ces années-là, elles sont devenues un élément indissociable de la vie quotidienne casablancaise.
Dès l’an 2000, la notion du covoiturage a émergé via des sites web proposant ce service à des prix symboliques rendant cette pratique accessible entre de parfaits inconnus. Les pages Facebook sont entrées dans la danse quelques années plus tard. Face à la montée de ce phénomène, les chauffeurs de taxis, mais aussi et surtout les autorités, ont eu du mal à l’accueillir favorablement.
Quoi qu’il arrive, à l’image de la ville qu’ils parcourent, les petits taxis résistent, s’adaptent, évoluent. La dernière décennie a vu la normalisation des applications mobiles pour réserver une course de manière sécurisée, et toujours cet attachement indéfectible au rôle des taximen dans le quotidien bigarré et chamarré des Casablancais.
Et dire qu’on les cantonne à l’appellation «moyen de transport» ! Ils sont une mémoire collective, un fil rouge qui relie les habitants entre eux et à leur ville. Le Klaxon d’un petit taxi, cette note dissonante dans l’orchestre urbain, est un rappel vibrant de l’âme de Casablanca.
Les petits taxis racontent, à eux seuls, une histoire, à savoir celle d’une ville qui danse sur ses contradictions, toujours prête à conjuguer tradition et modernité. Celle d’hommes et de femmes qui y montent chaque jour, emportant avec eux des fragments de vie, des éclats de rires et de rêves. Et à travers eux, c’est tout un pan de l’identité casablancaise qui continue de rouler, de klaxonner, de vivre.
Casablanca évolue, mais ses petits taxis, eux, restent là, fidèles au poste, vivants, et toujours prêts à écrire une nouvelle page de cette saga urbaine.
« Madame Taxi » !
Parler de l’Histoire du taxi rouge casablancais sans mentionner la success story d’Amina Agourame, c’est faire tabula rasa de l’une des vraies évolutions socioculturelles qu’a connues le secteur. Première femme chauffeure de taxi au Maroc, elle a brisé les codes dès les années 90, ouvrant la voie à une transformation profonde du secteur.
« Quand j’ai commencé, c’était un choc pour beaucoup », se souvient-elle dans son taxi impeccablement entretenu, « mais mes collègues m’ont accueillie avec un respect qui m’a surpris ». De fait, celle qu’on surnommait « l’exception qui confirme la règle » a su imposer son style : une conduite posée, une connaissance parfaite des ruelles de la métropole, et surtout, ce sens de l’hospitalité qui fait la fierté des taxis casablancais.
Du haut de son expérience, Amina observe avec un mélange de nostalgie et d’espoir les bouleversements qui secouent sa profession, car si elle déplore certaines dérives modernes comme le trucage des compteurs ou la course au profit, elle reste convaincue que la nouvelle génération parviendra à préserver l’âme de ce métier emblématique.
Dans l’effervescence de la ville frondeuse, belle et rebelle, où klaxons et moteurs constituent un tapis musical quotidien, Amina Agourame continue de tracer sa route depuis près de trois décennies au volant de son taxi rouge, symbole d’une révolution dans une profession longtemps réservée aux hommes.
Houda BELABD
Dans le tourbillon des klaxons et des néons, les taxis rouges de Casablanca, piliers du quotidien urbain, traversent une période d’incertitude, à l’heure où le secteur vit une crise économique sans précédent, comme le décrit Mustapha El Kihel, secrétaire général de la Fédération nationale des professionnels du transport (FNPT) au dictaphone de «L’Opinion». Avec une voix teintée de gravité, il confie qu’aujourd’hui, « il n’est plus rentable d’exercer ce métier. Nous sommes tout près du seuil de la pauvreté ».
Le coupable n’est autre que la tendance inflationniste qui continue de faire grimper les prix des carburants. « Lorsque le gasoil dépasse les 12 dirhams le litre, la situation devient critique et c’est une crise qui est d’autant plus difficile à absorber que les tarifs des courses n’ont pas suivi cette flambée, grignotant les marges des chauffeurs » explique-t-il avant de poursuivre que « ces derniers se retrouvent piégés entre l’augmentation des coûts et la réalité d’un pouvoir d’achat marocain déjà fragilisé ».
Sur la question d’une éventuelle hausse des tarifs, El Kihel reste prudent : « Les citoyens peinent déjà à faire face à la vie chère, augmenter les prix serait un nouveau coup dur ». Pourtant, il avertit : « Si rien ne change, nous n’aurons d’autre choix que de revoir nos tarifs ».
Les subventions accordées par le gouvernement, bien qu’appréciées, sont jugées insuffisantes, car selon les mots de notre interlocuteur, « elles ne couvrent qu’une petite partie des charges des professionnels et cela reste symbolique ». Cependant, Mustapha El Kihel ne peut s’empêcher de saluer les efforts entrepris par les autorités pour soutenir une profession essentielle à la mobilité urbaine.
Dans les rues animées de Casablanca, les petits taxis continuent leur bonhomme de chemin, bien que le quotidien de leurs chauffeurs devienne de plus en plus précaire. Ces hommes et femmes, au volant de leurs véhicules, s’accrochent avec une résilience admirable. Mais jusqu’à quand pourront-ils maintenir ce service indispensable ?
Si les syndicalistes crient à l’urgence, il serait plus judicieux de faire appel à la sagesse du gouvernement, car l’équilibre demeure fragile entre la nécessité de soutenir ces travailleurs et celle de préserver le pouvoir d’achat des citoyens. Si rien n’est fait, la ville blanche pourrait perdre une part de son âme, incarnée par ses taxis rouges qui, malgré les épreuves, continuent de relier les cœurs et les quartiers.
Autrefois, les taxis rouges de Casablanca n’étaient pas simplement des véhicules en mouvement : ils portaient en eux l’âme chaleureuse et accueillante d’une ville cosmopolite. Leur couleur rouge vif, évoquant les passions marocaines, tranchait sur le gris des rues de la cité blanche, où ces taxis circulaient avec une élégance naturelle. Chaque trajet n’était pas qu’un simple déplacement, mais une rencontre, une petite cérémonie qui transformait le quotidien en un instant privilégié.
Les plus anciens s’en souviennent : dans ces taxis, le chauffeur n’était pas seulement un conducteur, mais un hôte. Chaque passager était traité comme un invité de marque, un ami. Les femmes recevaient une attention particulière, les personnes âgées étaient respectées, et les conversations étaient empreintes de politesse et de bienveillance.
Aujourd’hui, que reste-t-il de cette tradition ? Les témoignages des MRE ou de touristes de passage sont désormais remplis de déceptions. Course surfacturée, compteurs truqués, négociations rugueuses : les taxis sont devenus des terrains d’affrontement économique. Les chauffeurs, autrefois ambassadeurs d’un accueil sincère, sont désormais perçus comme des opportunistes, cherchant à maximiser chaque course au détriment de l’hospitalité.
Loin de nous l’idée de noircir le tableau de cet emblème du patrimoine casablancais et encore moins de généraliser en mettant tous les chauffeurs sur la même sellette. Mais il n’en demeure pas moins que la nostalgie d’un temps révolu s’installe, douce-amère, dans les mémoires. Ces taxis rouges, jadis symboles d’une modernité rayonnante, sont aujourd’hui des témoins d’une dégradation des valeurs, où l’éthique a été reléguée au second plan derrière la quête du profit immédiat.
Casablanca, ville-monde, miroir des mutations sociétales, ne peut laisser mourir cet héritage. Il est temps que les autorités municipales réinventent le métier, imposent une charte éthique, un contrôle numérique des trajets et des tarifs, et surtout, réhabilitent la formation des chauffeurs comme gardiens d’une tradition d’excellence et de respect.
Outre les applications de mobilité urbaine, les chauffeurs de taxis rouges ont d’autres concurrents dans le rétroviseur, à savoir les «Khettafas», surtout au niveau du Boulevard Mohammed VI. Là, sur un pont d’un kilomètre, une gare improvisée s’anime : celle de ces transporteurs clandestins qui y font la loi de jour comme de nuit. Ils sont les artisans d’un système D qui prétend combler un certain manque de transports publics sur la route de Mediouna, banlieue populaire aux allures de far-west urbain.
Dans ce no man’s land administratif, triporteurs, scooters et vieilles Honda deviennent les véhicules d’une liberté de mouvement chèrement acquise. Les conducteurs, rois de l’asphalte, ignorent feux rouges et passages piétons avec une désinvolture assumée.
Pour les habitants, c’est un pacte faustien : risquer sa vie pour la gagner. « On rend service », clame un chauffeur de Renault 18 fatiguée. Service ou servitude ? La question reste en suspens, comme ces vies accrochées aux portières des taxis fantômes.
En attendant une solution pérenne, ce phénomène se joue des règles.
Vivement que les réformes, actuellement dans le pipe, et la récente extension du réseau de transport public réussissent à réduire l’emprise de ces chauffards dans l’optique d’offrir aux habitants une alternative plus sûre et plus réglementée. Le paysage change, les lois s’adaptent, et si le système informel perdure encore dans les interstices de la ville, il n’en demeure pas moins que l’avenir de la mobilité casablancaise ne pourra s’écrire que sur les voies tracées de la légalité.
La Capitale économique du Royaume écrit un nouveau chapitre dans son Histoire urbaine où taxis traditionnels et services de VTC (Voitures de Transport avec Chauffeur) tentent de définir les contours d’une cohabitation constructive, sous l’œil vigilant des autorités.
Ce nouveau chapitre a été amorcé par l’arrivée des plateformes de VTC en 2015. Cette année-là, le secteur est entré de plain-pied au cœur d’une mutation significative, portée par les nouvelles attentes des usagers, laquelle mutation, source de tensions ponctuelles, illustre la capacité d’adaptation du marché marocain aux innovations technologiques qui révolutionnent le transport urbain.
Des incidents sporadiques, comme celui récemment filmé près de la gare Casa-Voyageurs, montrent qu’il est crucial de trouver un équilibre entre les divers acteurs tout en satisfaisant les besoins des utilisateurs qui apprécient à la fois la modernité des nouvelles options et le service traditionnel de l’indétrônable taxi rouge.
Face à cette situation, les autorités démontrent leur engagement à accompagner cette transition, tandis que le gouvernement travaille à l’élaboration d’un cadre réglementaire équilibré, visant à garantir une concurrence saine tout en préservant les intérêts de chaque partie prenante.
Les représentants des chauffeurs de taxis classiques travaillent en partenariat avec les autorités gouvernementales pour établir les modalités d’une modernisation qui respecte leur métier. Ils réclament principalement des règles fiscales et d’accès plus justes dans les zones très fréquentées.