L’Inspection générale des finances du Maroc célèbre 65 ans de contrôle, d’audit et de modernisation de l’État. Rétrospective d’un pilier discret de la gouvernance publique.
L’histoire de l’IGF remonte à l’époque du Protectorat français. Il y a exactement un siècle, l’administration coloniale a mis en place une série de corps de contrôle, dont l’Inspection des finances de Rabat, rattachée à la Trésorerie générale du Protectorat. Ces services visaient à garantir la bonne exécution des dépenses publiques dans le cadre du budget contrôlé par la puissance coloniale. Grosso modo, l’objectif était plus technique que stratégique : il s’agissait de préserver les intérêts financiers du Protectorat.
« La mise en place d’un appareil de contrôle interne au service d’un État en construction et la souveraineté budgétaire sont devenues des priorités dès l’indépendance du Maroc en 1956, marquant le point de départ d’une refonte progressive de son architecture administrative et financière », affirme un inspecteur des finances, sous le couvert de l’anonymat.
C’est, en effet, dans ce contexte qu’est officiellement créée l’Inspection générale des finances par le Dahir n° 1-59-247 du 26 octobre 1959. Placée sous la tutelle du ministère des Finances, l’IGF se voit confier une double mission : « contrôler les opérations financières de l’administration » et « évaluer la régularité et l’efficacité de la gestion des deniers publics », selon les termes des documents de référence rendus publics par le ministère de l’Économie et des Finances.
Un rôle de plus en plus stratégique
« Dans les années qui ont suivi l’indépendance, l’Inspection générale des finances a orienté ses interventions vers le contrôle des aspects administratifs et comptables, dans un environnement caractérisé par une forte centralisation étatique et l’élargissement progressif des missions publiques. Ses constats ont contribué à façonner les choix budgétaires majeurs et les démarches de maîtrise des dépenses », ravitaille notre source.
Dès les années 1980, le rôle de l’Inspection générale des finances s’est progressivement renforcé, porté par l’adoption des plans d’ajustement structurel et les réformes de l’administration publique. L’Inspection a commencé à s’imposer comme un organe d’audit opérationnel, chargé d’évaluer non seulement la conformité des actions, mais aussi l’efficacité des politiques publiques. Peu à peu, la logique de reddition des comptes s’est installée au cœur de son action.
Dans les années 1990 et 2000, l’IGF a pris part à plusieurs chantiers d’envergure, dont la réforme de la fiscalité, la modernisation de la gestion budgétaire, ou encore l’appui technique à la mise en place de l’INDH (Initiative nationale pour le développement humain). Son champ d’action s’est, donc, élargi : collectivités territoriales, établissements publics, fonds spéciaux et entreprises d’État passent sous sa loupe.
Développer la culture de la performance
L’entrée en vigueur de la Constitution de 2011 consacre une nouvelle dynamique en matière de gouvernance publique. L’article 147 rappelle la nécessité d’un contrôle rigoureux des finances publiques, ce qui renforce indirectement le rôle des organes comme l’IGF. Dans ce nouveau contexte constitutionnel, l’Inspection affirme sa place au sein des institutions qui œuvrent pour la transparence et l’efficacité de l’action publique.
Selon des documents publics émanant du ministère de l’Économie et des Finances, l’IGF est désormais chargée de «vérifier la régularité, l’efficacité, l’efficience et l’économie de la gestion des administrations et organismes publics, dans un cadre d’objectivité et d’indépendance professionnelle». Cette redéfinition des missions élargit considérablement son horizon, notamment à travers le développement de l’audit de performance et l’évaluation de l’impact des politiques publiques.
À partir de 2015, l’IGF renforce sa présence sur les grands chantiers nationaux, notamment en matière de gouvernance budgétaire, de partenariat public-privé, de réforme de l’administration, et de décentralisation. Elle participe également à des missions conjointes avec la Cour des Comptes ou l’Inspection générale de l’administration territoriale, dans un esprit de complémentarité.
En définitive, la mobilité des inspecteurs, souvent appelés à occuper des fonctions de haut niveau au sein des administrations centrales, des cabinets ministériels ou des institutions publiques, fait partie intégrante de la culture de l’IGF. Ce principe, hérité en partie du modèle français, permet de diffuser une culture du contrôle, de l’évaluation et de l’intégrité dans l’ensemble de la sphère publique.
Le système financier reposait principalement sur la collecte des impôts, des tributs et des revenus issus des terres appartenant au califat ou à la dynastie régnante. Parmi les principales sources de revenu figuraient la «zakat», un impôt religieux obligatoire sur la richesse des musulmans, ainsi que le «kharaj», un impôt foncier perçu sur les terres conquises et exploitées. Ces prélèvements étaient essentiels pour financer la défense du territoire, l’administration et les infrastructures publiques.
La gestion de ces recettes était confiée à des fonctionnaires nommés par le pouvoir central, souvent appelés «amil» ou percepteurs. Leur rôle consistait à collecter les impôts auprès des populations rurales et urbaines, puis à reverser les sommes au Trésor public. Le contrôle des finances se faisait par une surveillance directe du pouvoir politique, avec des inspecteurs ou agents du souverain chargés de vérifier la loyauté et la bonne exécution des collectes, bien qu’aucune structure formelle de contrôle interne ou d’audit comparable aux systèmes modernes n’existât.
Les échanges commerciaux, notamment avec l’Afrique subsaharienne via le Sahara, la Méditerranée et l’Andalousie, généraient également des revenus sous forme de taxes sur les marchandises et les routes commerciales. Les marchés et les souks constituaient des lieux clés où se négociaient les biens et où des registres rudimentaires de transactions pouvaient être tenus par les marchands ou les autorités locales.
Par ailleurs, le système financier médiéval marocain intégrait des formes de gestion collective et communautaire, notamment à travers les «waqfs» (biens religieux ou charitables), qui jouaient un rôle dans le financement d’activités sociales et religieuses sans passer par le Trésor central.
L’administration marocaine traditionnelle, quant à elle, était encore marquée par des pratiques anciennes où le contrôle des finances relevait davantage de la responsabilité des caïds, pachas et autorités locales. Dans les grandes villes comme Fès, Marrakech ou Meknès, certains rudiments de comptabilité existaient, mais sans cadre unifié ni doctrine de gestion publique moderne. Les recettes de l’État, souvent issues des impôts coutumiers ou de la collecte par les agents du Makhzen, étaient centralisées selon des procédures très peu standardisées.
Au lendemain de l’indépendance en 1956, le Maroc a donc su profiter d’un double héritage : des structures coloniales organisées mais conçues pour un autre objectif, et des pratiques locales encore très enracinées dans une logique coutumière. La priorité devient alors la construction d’un appareil d’État souverain, capable non seulement de gérer les ressources publiques, mais aussi de les contrôler, de les auditer et de les orienter au service du développement national. Dans ce contexte, l’absence d’un organe central de contrôle des finances publiques devient un enjeu crucial. La création de l’IGF en 1959 répond ainsi à un besoin stratégique : instaurer une autorité nationale, technique et indépendante, pour accompagner la montée en puissance de l’administration et garantir la bonne gestion des fonds publics.
Somme toute, le Maroc d’avant l’IGF n’était pas défaillant, mais en transition. Il passait d’une logique de gestion fragmentée à une ambition d’encadrement moderne, à la fois rigoureux et structuré. C’est dans ce moment charnière que s’inscrit la naissance de l’Inspection générale des finances.
En France, l’Inspection générale des finances, créée en 1797, est un corps prestigieux de l’administration publique. Placée sous l’autorité du ministère de l’Économie et des Finances, elle contrôle la régularité des comptes publics et évalue l’efficacité des politiques publiques. Elle est également chargée de nombreuses missions d’audit, souvent confiées par le Premier ministre.
Aux États-Unis, le Government Accountability Office (GAO), créé en 1921, est une agence indépendante du Congrès chargée de l’audit, de l’évaluation et de l’investigation des dépenses publiques fédérales. Dirigé par le Contrôleur général des États-Unis, le GAO fournit au Congrès des informations objectives et factuelles pour améliorer la performance et assurer la responsabilité du gouvernement fédéral.
En Chine, la Commission centrale pour l’inspection disciplinaire du Parti communiste chinois, fondée en 1927 et rétablie en 1978, est chargée de la lutte contre la corruption parmi les cadres du parti. Elle mène des enquêtes internes et dispose de pouvoirs étendus pour faire respecter la discipline au sein du parti.
La Turquie dispose d’une Cour des Comptes qui audite les comptes publics et les institutions. En parallèle, l’Inspection du Trésor, rattachée au ministère des Finances, mène des enquêtes financières internes. Elle s’inscrit dans une tradition de contrôle étatique forte, même si son indépendance peut être sujette à débat.
En Arabie Saoudite, l’Autorité de contrôle et de lutte contre la corruption (Nazaha), créée en 2011, supervise la gestion des finances publiques et lutte contre les détournements de fonds. Elle a récemment engagé des poursuites judiciaires contre des individus impliqués dans des affaires de corruption, démontrant une volonté de renforcer la transparence et la responsabilité dans le secteur public.
Ces institutions, bien que différentes dans leur forme, partagent une fonction commune : garantir la régularité, l’efficience et la transparence de l’action publique.