À Sijilmassa, des fouilles récentes ont mis en lumière la plus ancienne mosquée du Royaume. Explorons ce que cette découverte nous apprend sur un pan méconnu de l’Histoire nationale.
Cette construction remonterait à la période comprise entre 757 et 762, durant le règne d’Abou Mansour Al-Yasa’ Ibn Abd Al-Qâsim, quatrième émir de la dynastie des Midrarides. Cette dynastie, d’obédience kharijite-sufrite, établit son autorité dans la vallée du Ziz après la fondation de Sijilmassa vers 757. Cette date s’appuie sur des sources classiques de la géographie et de l’historiographie arabo-musulmane médiévale, notamment Ibn Khaldoun dans son Kitab al-‘Ibar et al-Bakri dans le Kitab al-Masalik wa al-Mamalik.
Les fouilles récentes ont permis de mettre en évidence plusieurs phases de remaniement architectural de la mosquée, visibles dans l’agencement des murs, la succession de mihrabs, les fondations, et les matériaux utilisés. Ces transformations reflètent une continuité d’usage du lieu à travers les dynasties almoravide, almohade et mérinide.
Des éléments plus récents ont également été identifiés, notamment des fragments en bois orné et des décorations en plâtre sculpté datés stylistiquement du XVIIIème siècle. Il s’agirait des premières preuves tangibles d’une activité artistique ou administrative à Sijilmassa sous les Alaouites, probablement à l’époque de Moulay Ismaïl ou de ses successeurs. Cette redécouverte d’un site ancien témoigne de l’intérêt symbolique que la dynastie régnante pouvait encore lui porter.
Parallèlement, les archéologues ont mis à jour, à proximité de la mosquée, un quartier résidentiel structuré comprenant une douzaine de maisons, des patios, des cuisines et des zones de stockage. Daté également du XVIIIème siècle, cet ensemble semble avoir abrité une présence administrative associée à l’autorité centrale dans un espace historiquement dominé par des structures tribales autonomes.
Sijilmassa, située près de l’actuelle ville de Rissani, a été pendant près de sept siècles un carrefour majeur du commerce transsaharien reliant le Maghreb aux royaumes africains du Sahel, notamment Gao et Tombouctou. Fondée au VIIIème siècle, elle atteignit son apogée économique aux IXème et Xème siècles avant de connaître un déclin progressif à partir du XVème siècle, lié à l’ensablement, aux rivalités tribales et au déplacement des routes commerciales. La ville fut définitivement détruite au début du XIXème siècle.
Les fouilles en cours s’inscrivent dans un programme national de valorisation du patrimoine archéologique, coordonné par le ministère de la Culture. Le projet, d’un montant de 245,5 millions de dirhams, prévoit la consolidation des structures, la création d’un musée de site et la mise en valeur touristique et scientifique de cet espace historique majeur.
L’on pourra également lire dans l’historiographie qu’un dénommé Abu Sâlim al-Ayyachi, lettré et voyageur marocain du XVIIème siècle, traversa Sijilmassa lors de son retour du pèlerinage à La Mecque vers 1662. Dans ses écrits inspirés de son périple, il évoqua la ville avec une certaine solennité, décrivant les ruines d’une cité autrefois prospère mais encore marquée par une forte empreinte religieuse. « Je trouvai les vestiges d’une ville majestueuse, dont les mosquées anciennes portent encore les signes de piété des générations passées », avait-il écrit. Cette mention, bien que brève, souligne la persistance des lieux de culte dans la mémoire urbaine, même après le déclin économique de la ville. Pour al-Ayyachi, ces mosquées représentaient une forme de continuité sacrée au cœur d’un espace redevenu partiellement désertique. Son témoignage constitue l’un des rares récits marocains d’époque pré-coloniale à évoquer directement l’état des mosquées de Sijilmassa.
L’islam atteignit le Sud-Est marocain au cours de la seconde moitié du VIIIème siècle. Il ne s’imposa pas par la conquête militaire, mais par l’installation volontaire de groupes religieux dissidents. Vers 757, des migrants arabo-musulmans, adeptes du kharijisme sufrite, s’établirent dans la vallée du Ziz. Ces hommes, persécutés dans le Machreq par le pouvoir abbasside, cherchèrent un refuge à l’écart des centres califaux pour y fonder une communauté à part. C’est ainsi qu’ils fondèrent la cité de Sijilmassa.
La dynastie des Midrarides, issue de cette implantation, vit le jour sous l’impulsion de Semgou Ibn Wasul, un Berbère converti au kharijisme. Cette dynastie naissante bâtit son autorité sur une vision religieuse égalitariste et sur le contrôle du commerce transsaharien. Lorsque Abou Mansour al-Yasa’ Ibn Abî al-Qâsim, quatrième émir de cette lignée, accéda au pouvoir, il fit ériger une grande mosquée. Celle-ci s’élevait au cœur de la cité naissante et matérialisait à la fois la foi de la communauté et son autonomie politique.
Cette mosquée ne servait pas uniquement à la prière. Elle affirmait aussi le pouvoir local, indépendant des califes de Bagdad. La khutba, prononcée lors de la prière du vendredi, excluait toute mention du califat abbasside, marquant ainsi une rupture claire avec l’orthodoxie dominante. En même temps, la mosquée exprimait l’insertion de Sijilmassa dans le vaste réseau des villes islamiques du Maghreb et du Sahel.
Le contexte de l’époque était favorable à de telles expériences politiques. Au Maghreb comme en Ifriqiya, plusieurs foyers autonomes virent le jour dans les zones périphériques, profitant du relâchement de l’autorité centrale. Tandis que Kairouan rayonnait en Ifriqiya, Sijilmassa s’affirma comme un pôle d’islamisation dans le désert, en lien direct avec les caravanes venues de Gao, Walata ou Tombouctou.
Ainsi, ce lieu de culte constitua une affirmation de souveraineté religieuse et politique dans un espace tributaire des échanges mais marqué par le désir d’indépendance. Cette vocation allait perdurer pendant plusieurs siècles, faisant de Sijilmassa l’un des premiers bastions d’un islam saharien aux marges du califat.
Al-Bakri, géographe andalou du XIème siècle, fournit un témoignage essentiel sur les débuts de cette ville. Dans son « Kitāb al-Masālik wa-l-Mamālik », il expliqua que Sijilmassa était une ville importante dans le désert, fondée par un groupe de musulmans kharijites qui fuyaient les troubles. Il précisa aussi que leur chef s’appelait Samgu, et qu’il fut reconnu comme roi, bien qu’il fût analphabète. Il était vertueux et pieux. Ce portrait, à la fois sobre et suggestif, montre que l’autorité politique dans cette région ne reposait pas sur l’élite califale, mais sur une légitimité religieuse et communautaire.
C’est sous le règne du quatrième émir, Abou Mansour al-Yasa’ Ibn Abî al-Qâsim, que la ville connut un essor architectural et religieux marqué. Il fit édifier une grande mosquée, qui devint à la fois le cœur spirituel et politique de la cité. Le prêche du vendredi y était prononcé sans mention du calife abbasside, ce qui constituait un acte de souveraineté implicite. Al-Bakri nota que les habitants priaient selon la doctrine des Sufrites, et qu’ils ne reconnaissaient d’autorité que leur propre imam.
La construction de cette mosquée répondait ainsi à une nécessité politique autant que religieuse. Elle affirmait une identité kharijite, opposée à l’orthodoxie dominante, et structurait un espace urbain en pleine formation. Sijilmassa ne fut pas une ville improvisée du désert : elle devint très vite un carrefour du commerce transsaharien. Les caravanes en provenance du Ghana et de Tombouctou y trouvaient un relais vers les villes du Maghreb central et de l’Ifriqiya.
Il précisa que cette autorité ne dépendait d’aucun califat oriental, car « ils n’avaient pour chef qu’un homme de leur communauté, élu pour sa piété et ils ne reconnaissaient aucun pouvoir étranger au leur ». Cette organisation politique, fondée sur une légitimité religieuse interne, suppose l’existence d’institutions symboliques fortes, telles qu’une mosquée principale où se tenait la prière du vendredi, véritable acte d’indépendance politique lorsqu’elle s’effectuait sans invocation du calife abbasside.
Ibn Khaldoun décrivit aussi la prospérité de la ville, expliquant que « Sijilmassa devint un centre commercial actif, où affluaient les caravanes venues du Soudan », et que cette richesse permit l’émergence d’une cité structurée, bien gouvernée, où le pouvoir émiral s’appuyait sur une population stable et sur les alliances tribales. Dans ce contexte, il est plausible que la mosquée servit à la fois de lieu de culte, de siège pour l’imam élu, et de centre de rassemblement politique.
Aussi, Ibn Khaldoun avait-il affirmé que « les Midrarides ont régné pendant plusieurs générations, sans interruption, et leur autorité s’étendait sur toutes les tribus de la région ».
Les seuls éléments concrets que nous possédons aujourd’hui sur une mosquée aussi ancienne à Sijilmassa proviennent donc des fouilles archéologiques modernes. Les travaux de terrain menés dans les années 1990 et 2000 par les historiens et archéologues Ronald A. Messier et James A. Miller ont permis d’exhumer des fragments d’infrastructures religieuses anciennes, sans pour autant pouvoir les relier à des textes médiévaux. Dans leurs publications, ils soulignent eux-mêmes le manque de sources écrites précises sur l’architecture religieuse de la ville. Les récentes investigations de l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine (INSAP), dans le cadre du programme de valorisation piloté par le ministère de la Culture, confirment ce constat : les données matérielles abondent, mais les récits historiques sont peu précis.