Il est des hommes qui marquent l’Histoire par leur courage et leur sacrifice. Zerktouni n’en fait pas exception…
Dès son jeune âge, Zerktouni a pris conscience de la réalité coloniale. Fils d’une famille modeste de la Cité blanche, il grandit dans le dénuement, tandis que les richesses du Maroc sont siphonnées par le système colonial. C’est dans ce terreau d’injustice sociale que son patriotisme s’est enraciné. Élève assidu dans les médersas de la Médina, puis formé dans le domaine de l’athlétisme, discipline dans laquelle il excella, Zerktouni s’aperçut rapidement que le sport pouvait lui servir de levier de conscience politique. À travers le jeu, le sport de combat, le jogging clandestin, il tissa des liens, recruta et forma des équipes de jeunes Casablancais, afin d’en faire le vivier de la résistance.
Au début des années 1950, Zerktouni s’est, donc, affirmé comme « le maître d’œuvre de la résistance urbaine de Casablanca », se remémore Souad Balafrej, directrice de la librairie Kalila wa Dimna et fille de feu Ahmed Balafrej. « Avec quelques amis dévoués du calibre de feu Allal El Fassi et feu Ahmed Balafrej pour ne citer qu’eux, Mohammed Zerktouni organisa des « groupes d’action ». Il a donc pris la direction de ce que l’historiographie marocaine a retenu sous le nom de « la résistance casablancaise », le bras armé de l’Indépendance », poursuit notre interlocutrice.
Malgré ce déploiement de force, Zerktouni échappe de justesse en continuant d’organiser des actions de résistance. C’est lui, dit-on, qui a donné le coup d’envoi de l’ «opération du Marché central», le 24 Décembre 1953, contre le symbole de l’opulence coloniale. Cette action, parfaite en termes de clandestinité, n’a pas tardé à semer la peur dans le camp des colons et à souligner l’efficacité des groupes de Zerktouni.
Aussitôt, sa fin tragique a été perçue par le peuple marocain comme le sacrifice d’un martyr. «Zerktouni n’a pas parlé», murmurait-on dans le dédale de Casablanca. «Il a emporté ses secrets avec lui afin de sauver le soulèvement». Zerktouni, c’est le héros muet qui n’a jamais trahi ses frères. Zerktouni, c’est celui qui a choisi la mort pour sauver la cause
Ainsi Zerktouni appartient-il non seulement à l’Histoire politique, mais également à l’épopée nationale de premier rang. Il est devenu le symbole de l’inflexibilité face à l’occupation, de la pureté de l’engagement, de l’héroïsme des enfants du peuple. «La liberté a besoin de martyrs», écrivait le poète Abdelkrim El Khattabi, et Zerktouni en est le parfait exemple. À travers lui, le Maroc s’est offert le récit de son propre courage, de son sacrifice, de sa volonté inébranlable de vivre libre.
Au cœur de ce schéma, le boulevard, d’abord un simple élément de la circulation, s’est vite affirmé en tant qu’axe principal de la nouvelle ville européenne. Cette voie, bordée d’hôtels, de commerces, d’immeubles de style Art déco, s’allongeait jusqu’aux quartiers résidentiels en expansion. Avec le changement de statut politique en 1955, le boulevard a pris le nom de Mohamed Zerktouni, en hommage au jeune résistant casablancais, martyr de l’Indépendance.
Au fil des années, le boulevard a été le théâtre des mutations de la ville, de son affranchissement politique jusqu’à son affirmation en tant que métropole. La modernisation des années 1990 a été l’occasion de le réorganiser. Trottoirs, plantations, mobilier urbain ont été refaits afin d’en assurer la fonction de grande artère. Casamémoire, l’association de sauvegarde du Patrimoine de Casablanca, a été particulièrement attentive à cette transformation. «Le fait que le bâtiment n’était pas classé… a ouvert la voie aux promoteurs immobiliers», déplorait Rabéa Ridaoui, ex-présidente de Casamémoire, lorsqu’en 2020 certaines villas art déco ont été démolies le long de Zerktouni.
De 2015 à 2017, le boulevard a bénéficié d’une importante opération de rénovation, afin d’en assurer la modernisation tout en intégrant des éléments de son héritage. Cette opération a été perçue par certains casablancais comme indispensable, tandis que d’autres s’inquiétaient de la défiguration de leur mémoire urbaine. Casamémoire avait, d’ailleurs, souligné ce décalage: «le fait que le bâtiment n’était pas classé… a ouvert la voie à certains dérapages immobiliers», affirme Rabéa Ridaoui, insistant sur l’importance de préserver le boulevard Zerktouni, ce garde-fou de l’histoire de Casablanca.
Ainsi, le boulevard Zerktouni apparaît comme le dépositaire de son expérience historique, laquelle expérience mêle domination coloniale, résistance, décolonisation, développement, dégradations et politiques de préservation. La Cité blanche, par la voix de la militante associative Rabéa Ridaoui, souligne combien ce boulevard, «le ceinture la ville entière», est devenu le symbole de son identité en transformation.
Les groupes marocains Vias-Electrimar et GTR-Nabilum s’étaient vu confier ce projet. L’objectif ? Réaménager ce tronçon de la Corniche jusqu’au boulevard Mohammed VI afin d’en faire une avenue plus vivable, plus apaisée, plus en phase avec le Casablanca d’aujourd’hui.
«Il s’agit de pistes cyclables aménagées le long de trottoirs élargis, d’arbres plantés afin d’offrir de l’ombre, et un éclairage public repensé», promettait Moulay Ahmed Afilal, vice-président du Conseil de la Ville. Un an plus tard, ce sont effectivement des couloirs réservés aux vélos, des passages piétons plus faciles d’accès et des alignements d’arbres que l’on voit se déployer le long de l’axe.
Au-delà de l’amélioration esthétique, ce chantier répondait à des besoins pratiques. La métropole étouffait sous les embouteillages, la pollution, le stress de la circulation. Avec ce projet, les équipes techniques ont réussi à redonner de l’espace aux piétons, à fluidifier le trafic et à assurer plus de sécurité.
Le boulevard Zerktouni garde pourtant son âme. Cette artère, héritage de l’aménagement colonial, a vu la ville changer, s’étendre et se moderniser. Un an plus tard, elle s’adapte une nouvelle fois, sans renier son passé. La Corniche présente maintenant des voies réservées, des trottoirs plus spacieux ; plus on s’enfonce dans le cœur de la ville, plus l’espace se resserre, nécessitant des choix techniques délicats.
Les trémies, symbole d’une politique de l’automobile dominante, sont restées en place, tandis que le projet a réussi à redonner leur place aux piétons et aux cyclistes.
Cette transformation souligne, donc, la capacité de la ville à se réinventer tout en respectant son histoire.
À cette occasion, la Fondation Mohamed Zerktouni pour la Culture et la Recherche a rappelé, dans un communiqué, que «le 18 juin 1954, le héros Mohamed Zerktouni, déterminé à éviter la réclusion et les interrogatoires des forces de l’occupation, s’est donné la mort, inscrivant son nom dans la mémoire de la lutte nationale pour la défense des valeurs suprêmes du Maroc et de ses constantes historiques, enracinées depuis plus de douze siècles».
Dans ce sens, le président de la Fondation, Abdelkrim Zerktouni, a souligné que «Mohamed Zerktouni est décédé, digne et invincible comme les montagnes de l’Atlas, après avoir porté des coups douloureux aux forces coloniales, à leurs relais et à tous ceux qui gravitaient dans leur orbite».
Il a indiqué que «le martyr ne s’est jamais dérobé pour proclamer la vérité, pour contrer les manœuvres du colonisateur, ni pour faire échouer ses complots contre les symboles de la souveraineté nationale».
«L’exil en 1953 du symbole de la souveraineté nationale, Feu SM Mohammed V, décidé et exécuté par la France, a poussé Zerktouni à riposter fortement, élevant les revendications du peuple marocain au rang d’un cri de vengeance uni pour sa dignité», a-t-il poursuivi.
«Rude, la lutte a été marquée par des affrontements violents et des crimes coloniaux avérés, mais aussi par une volonté nationale inflexible», a-t-il affirmé, notant que la détermination inébranlable à été nourrie de la volonté Royale fidèle à la cause nationale, et celle du peuple qui était attaché à sa souveraineté, à sa liberté, à sa dignité et à son indépendance.
Au-delà de l’artère casablancaise éponyme, plusieurs établissements scolaires à travers le pays ont été baptisés du nom de Zerktouni, notamment dans la région de Casablanca-Settat. Ces écoles, construites majoritairement dans les années 1960 et 1970, reflètent l’importance accordée à la transmission de la mémoire patriotique aux jeunes générations. Elles incarnent le rôle fondamental de l’éducation dans la construction d’une conscience nationale post-coloniale.
Les clubs sportifs, en particulier dans les quartiers populaires de Casablanca, utilisent également le nom de Mohammed Zerktouni. Fondés souvent dans les décennies qui ont suivi l’indépendance, ces clubs reflètent l’esprit de combativité et de solidarité associé à la figure du résistant. Par leur présence dans la vie quotidienne des habitants, ils contribuent à maintenir vivante la mémoire collective et les valeurs de résistance.
Par ailleurs, la maison natale de Zerktouni, située dans l’ancienne médina de Casablanca, a été transformée en musée de la Résistance. Ce lieu, inauguré dans les années 1980, est devenu un espace de mémoire important qui retrace non seulement la vie et l’action de Mohammed Zerktouni, mais aussi le contexte plus large de la lutte pour l’indépendance. Il offre aux visiteurs une immersion dans l’histoire locale, à travers des archives, des témoignages et des expositions.
Enfin, plusieurs associations culturelles et sociales portent également son nom. Ces organisations, apparues principalement à partir des années 1990, s’engagent dans la promotion de la culture, du patrimoine et de la citoyenneté.