Sahara : La cavalcade solitaire de Giorgia Meloni en Europe [INTÉGRAL]

L’Italie fait figure d’exception dans une Europe majoritairement favorable à la marocanité du Sahara. Décryptage de l’attitude de Rome.

L’Europe est en passe de devenir unanimement favorable au plan d’autonomie. Après le Royaume-Uni, la Pologne s’apprêterait à franchir le Rubicon. Varsovie serait disposé à soutenir le plan d’autonomie pour le Sahara, apprend-on de sources diplomatiques concordantes.  Selon nos informations, cette décision serait envisagée depuis des mois, mais est à maintes reprises différée pour des raisons liées au contexte international. Jusqu’à présent, la Pologne observe une neutralité bienveillante en se contentant de reconnaître les efforts du Maroc pour trouver une solution politique au conflit, mais n’a pas encore emboîté le pas aux nombreux pays européens qui appuient officiellement le plan d’autonomie comme la solution la plus crédible au différend régional.
 
La diplomatie polonaise serait décidée à s’aligner sur l’ensemble des pays de l’Union Européenne qui ont tranché en faveur du Maroc. Varsovie estime désormais que le conflit du Sahara a trop duré. D’où l’urgence d’une solution, au moment où le Conseil de Sécurité s’apprête à adopter une Résolution favorable à la souveraineté marocaine sous l’impulsion des Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni.
 
Un jeu solitaire
 
Aujourd’hui, près de 18 pays européens ont soutenu sans équivoque l’autonomie sous souveraineté marocaine. L’effet domino est en cours, d’autant que le Vieux Continent n’a d’autre choix que de s’engager dans la dynamique internationale, surtout après le retour de l’Administration Trump, qui a affirmé sans ambages sa reconnaissance de la marocanité du Sahara. Or, dans le concert des grandes nations européennes, l’Italie fait cavalier seul. Le gouvernement de Giorgia Meloni, auréolée d’une aura sans précédent actuellement en Europe, reste cramponné à sa neutralité en restant aligné aux Nations Unies. 
 
À peine son ministre des Affaires étrangères, Antonio Tajani, a-t-il concédé un geste symbolique en saluant les efforts “sérieux et crédibles” du Maroc lors de la dernière visite du Chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, à Rome en 2023. Pour l’instant, Rome continue de soutenir les efforts de l’émissaire onusien et encourage une solution négociée. Un tissu de verbiage diplomatique abscons, dont le Maroc ne se contente plus auprès de ses partenaires, d’autant que Rabat mesure désormais la sincérité des partenaires à l’aune de leurs positions sur son intégrité territoriale.
 
Certes, pour expliquer la position italienne, les commentateurs renvoient souvent au passé de Mme Meloni, qui, du temps de sa jeunesse militante, soutenait le Polisario dont elle avait visité les camps à Tindouf. Mais les temps ont changé, La Cheffe de fil de “ Fratelli d’Italia”n’est plus une militante fanatique de l’extrême droite, elle est aujourd’hui la présidente du Conseil des ministres d’une Italie en pleine ascension en Europe. Sa politique étrangère est dictée par des intérêts plutôt que par des considérations idéologiques. 
 
“On se demande souvent pourquoi l’Italie ne prend pas une position plus audacieuse sur le Sahara, cela ne date pas d’aujourd’hui, le Maroc n’a pas pris encore au sérieux l’Italie en en faisant un allié aussi important que la France et l’Espagne en Europe”, déplore Abderrahmane Chabib. Le Directeur exécutif de l’Académie diplomatique italienne rappelle que les Italiens ont toujours l’impression que le Maroc ne les considère pas comme partenaires privilégiés, à l’instar des Français, des Espagnols, ou, plus récemment, des Britanniques.
 
Selon notre interlocuteur, qui connaît bien les subtilités de la politique italienne, le Royaume ne semble pas attacher autant d’importance à l’Italie bien qu’elle soit aujourd’hui un acteur influent dans le Vieux Continent. C’est un géant industriel, la troisième économie de l’UE, un membre influent du G7.
 
Depuis son élection triomphale en 2022, Giorgia Meloni est parvenue à redonner à son pays sa gloire perdue en Europe. Rome est aujourd’hui l’une des voix indispensables en Europe. Son influence est telle que Mme Meloni est l’interlocutrice préférée de l’Administration Trump au sein de l’Union. On parle même du miracle Meloni qui a réussi un double exploit : enrayer l’immigration clandestine et revigorer l’économie italienne, effaçant le souvenir amer des années 2010 où le pays frôlait la banqueroute dans le sillage de la crise de 2008.
 
Entre Rabat et Rome, “les relations demeurent politiquement silencieuses alors que les liens économiques sont forts”, souligne M. Chabib. En effet, l’Italie est le cinquième partenaire commercial du Royaume et son troisième client en Europe avec des échanges estimés à 4 milliards d’euros. Le Maroc y exporte environ 22,31 milliards de dirhams. Toutefois, ce partenariat n’est pas exploité politiquement.
 
Le spectre du gaz algérien !
 
Ceci a créé un vide rapidement comblé par l’Algérie qui a joué la carte du gaz, dont dépend vitalement l’Italie, pour s’attirer les faveurs de Rome après l’arrêt des livraisons russes en 2022. La guerre en Ukraine a permis un rapprochement sans précédent entre Rome et Alger sur fond d’intérêts croisés, et surtout d’une dépendance énergétique croissante. L’Algérie est aujourd’hui le premier fournisseur de gaz naturel de l’Italie. D’où l’idylle actuelle.
 
En effet, le rapprochement italo-algérien fait que le gouvernement italien se garde de prendre une position pro-marocaine sur le Sahara. Il y a une certaine réticence bien que le Maroc soit vu d’un bon œil à Rome.
 
Les leviers dont dispose le Maroc
 
“Il ne faut pas se tromper, les deux pays partagent des intérêts économiques conjoncturels”, fait remarquer Abderrahim Chabib, qui appelle à un sursaut de la diplomatie marocaine pour renverser la donne.  “L’immobilité diplomatique de la mission diplomatique à Rome exacerbe le marasme actuel”, regrette-t-il, ajoutant : “Nous avons besoin d’une diplomatie plus offensive et beaucoup plus volontariste, qui prenne davantage d’initiatives”.
 
Cela dit, il ne suffit pas d’échanges de visites, mais il faut que la diplomatie marocaine fasse savoir ouvertement qu’elle veut faire de l’Italie un partenaire privilégié pour renverser la donne, pense notre interlocuteur qui trouve curieux qu’il n’y ait pas de forum d’affaires digne de ce nom. Or, les perspectives futures restent rassurantes, d’autant que le Maroc est un acteur clé dans le plan Matei par lequel l’Italie veut se repositionner en Afrique.
 

 

Meloni au Maroc ? En attendant la visite tant attendue !
Lorsqu’il a rencontré Giorgia Meloni à Rome en marge du Sommet Italie-Afrique, le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, l’a invitée à effectuer une visite officielle au Maroc. Une invitation qu’elle a acceptée.  

Au cours de leurs discussions, Meloni a souligné l’ »excellence » des relations entre les deux pays. Elle avait confié que son pays  »a besoin de partenaires et d’amis comme le Maroc en Afrique pour l’accompagner dans sa nouvelle approche de coopération avec le continent ».
 
Selon le compte rendu officiel de cette réunion, tel que publié par la MAP, la présidente du Conseil des ministres italien a exprimé sa satisfaction du rôle du Maroc dans le “Processus de Rome”, affirmant qu’ »en dépit du caractère exceptionnel des relations entre Rome et Rabat, l’Italie cherche toujours à faire mieux, d’autant plus qu’entre les deux pays, il y a une belle histoire à raconter”.

 

​Plan Mattei : Une opportunité pour le Maroc ?
Depuis son arrivée au pouvoir, Giorgia Meloni a fait de l’Afrique une priorité de sa politique étrangère. En désaccord avec la ligne de l’Union Européenne et sa vision paternaliste, elle est intimement convaincue que le développement de l’Afrique est l’unique rempart contre l’immigration clandestine qu’elle veut enrayer à tout prix. Elle a été élue pour cela après des années d’impuissance des gouvernements précédents qui n’ont pas pu juguler les flux de migrants clandestins dans les côtes du Sud. Raison pour laquelle elle s’est évertuée à conclure des partenariats séparés avec les pays de transit comme l’Algérie, la Tunisie et la Libye, pour qu’ils jouent leur rôle de garde-côte. C’est dans cette vision que s’inscrit le fameux plan Mattei par lequel l’Italie veut se positionner en force en Afrique à travers des partenariats d’égal à égal dans plusieurs domaines, surtout le business et les énergies renouvelables. Le Maroc y a sa place et fait partie des 14 pays clés. Aussi, «le Royaume a-t-il la capacité de devenir un hub pour l’Italie et une plateforme de projection de ses investissements en Afrique. Il ne s’agit pas de slogans, c’est un plan réel avec des opportunités gigantesques», rassure Abderrahim Chabib. Pour sa part, le Royaume se dit disposé à jouer un rôle de premier plan dans le plan italien, profitant de son influence en Afrique, comme l’a fait savoir l’ambassadeur du Royaume en Italie, Youssef Balla, dans une interview accordée à l’agence de presse “Gea Agency”.

 

À propos

Check Also

La BAD injecte plus de 300 millions d’euros pour dynamiser l’économie marocaine et renforcer sa résilience

Le Conseil d’administration du Groupe de la Banque africaine de développement (BAD) a approuvé plus …

Laisser un commentaire