Saison agricole 2025 : Les pluies relancent l’espoir dans les campagnes marocaines [INTÉGRAL]

Après des années de sécheresse sévère, les pluies redonnent un souffle à l’agriculture. Mais les filières restent suspendues aux caprices du climat.

Depuis quelques mois, le monde agricole marocain souffle enfin face aux nombreux signes annonciateurs de l’arrivée à terme d’un long épisode de sècheresse. Les chiffres des cumuls de précipitation depuis les dernières semaines de l’été dernier (début septembre 2024) au début du mois en cours, vont de 5 à 379 millimètres. Ces données, révélées à nos confrères du Le360 par Younes Laabdi, chef de service de la gestion de l’eau à la direction générale de l’hydraulique, relevant du ministère de l’Équipement et de l’Eau, sont toutefois nuancées par quelques déficits persistants, notamment ceux qui sévissent encore dans les bassins de la Moulouya, du Sebou et de l’Oum Er-rbia, du Loukkous, du Tensift, du Bouregreg, du Souss Massa et de Sakia El Hamra-Oued Eddahab. «Il faut plusieurs années humides pour espérer combler les déficits qui persistent vis-à-vis de la demande hydrique, notamment agricole. Mais, notre pays revient de loin après plusieurs années de sècheresse sévère», estime Youness Lamrich, jeune auto-entrepreneur agricole. 
 
Bon démarrage
Idem pour les nappes phréatiques surexploitées dont la reconstitution demandera également plusieurs années pluvieuses, pour peu que les prélèvements excessifs soient rationalisés. En attendant, les paysages verdoyants sont de retour et les diverses filières agricoles nationales croisent les doigts pour que les températures n’augmentent pas excessivement et avant l’heure. «La première des conditions qui pourraient favoriser une bonne production pour cette année serait justement que les températures n’augmentent pas excessivement, surtout durant la période actuelle qui est considérée comme difficile dans la culture de l’olivier (floraison, nouaison…) et durant laquelle l’arbre est très sensible à la chaleur», nous confie Rachid Benali, président de la Confédération Marocaine de l’Agriculture et du Développement Rural (COMADER) et de l’Interprofession marocaine de l’olive (INTERPROLIVE). «Nous avons pour l’instant un très bon démarrage de la saison oléicole grâce aux récentes précipitations, c’est indéniable», estime la même source. 
 
Situation améliorée
L’autre illustration nous vient de la filière apicole qui a également fait sa traversée du désert durant ces dernières années. Si l’effondrement des colonies d’abeilles, que le pays a connu depuis la saison 2022, ne s’explique pas uniquement par les impacts de la sècheresse, force est cependant de constater que l’absence d’un couvert végétal mellifère fait partie des facteurs directs de l’hécatombe qui a marqué l’apiculture marocaine. «La situation de la filière s’est beaucoup améliorée, d’autant plus que les récentes précipitations ont touché pratiquement tout le pays. Lorsqu’on prend la route, on peut le constater à travers les paysages qui sont devenus verdoyants, avec beaucoup de fleurs et une reprise du développement végétal qu’on n’a pas connu depuis un long moment», témoigne Said Aboulfaraj, ingénieur agronome et expert apicole directeur d’un bureau d’étude spécialisé en apiculture, ajoutant que les pluies ont coïncidé avec la phase de développement des végétaux, ce qui est bénéfique pour les abeilles et pour le secteur.
 
Sècheresse structurelle
A l’image des acteurs de la filière oléicole, les apiculteurs estiment que la production de l’année en cours n’est pas gagnée d’avance grâce aux seules pluies enregistrées. «La saison apicole vient à peine de commencer. A ce stade, il est encore tôt pour se risquer à parler d’une bonne production apicole en 2025», estime Said Aboulfaraj qui espère que «les conditions climatiques demeureront favorables, avec encore des précipitations à venir, et des températures clémentes qui permettent au couvert végétal de se maintenir». Le cycle de la sècheresse «devenue structurelle» est-il finalement brisé ? Non, répondent les climatologues. «La sècheresse au Maroc n’est pas devenue structurelle contrairement à ce qui se dit par divers officiels et acteurs du secteur agricole. Cela pour la simple raison que la sècheresse au Maroc est structurelle depuis la nuit des temps. Nous devons nous adapter à cette réalité comme nos ancêtres ont su s’y adapter», conclut pour sa part Mohammed-Saïd Karrouk, professeur de climatologie à l’Université Hassan II, FLSH Ben M’Sick (voir interview). 
 
Omar ASSIF

3 questions à Mohammed-Saïd Karrouk : «Je recommande d’anticiper ces épisodes pluvieux en aménageant des infrastructures capables de stocker ces eaux pour les réutiliser ultérieurement»
Comment expliquer les épisodes de sècheresse qui sévissent cycliquement au Maroc ?

Il y a quelques années, mes travaux m’avaient conduit à examiner les mécanismes internes de l’anticyclone des Açores sous l’angle énergétique. Il en ressort que la sécheresse correspond à un renforcement anormal de cet anticyclone, tandis que le retour des pluies est lié à son affaiblissement. Ce phénomène est directement lié au cycle énergétique global à la surface de la planète. En résumé, la sécheresse que nous avons connue depuis 2018 est principalement liée à la stabilité du phénomène El Niño dans l’océan Pacifique. El Niño se traduit par un réchauffement anormal des eaux de surface, ce qui renforce l’anticyclone des Açores en lui apportant une énergie excessive. Cet anticyclone reste alors fortement ancré au large du Maroc et de la péninsule ibérique, empêchant ainsi les perturbations d’atteindre notre pays. 
 

Quid de la situation et de la configuration actuelle qui a manifestement brisé ce blocage ?

Aujourd’hui, la situation est inverse : nous sommes dans une phase La Niña, avec des eaux de surface plus froides, ce qui affaiblit l’anticyclone et permet l’infiltration des masses d’air froid. Ces masses proviennent à la fois de la Scandinavie et du Canada, traversant l’Atlantique avant d’atteindre notre région. C’est ce qui a généré les pluies enregistrées ces dernières semaines. 

  Ces précipitations vont-elles encore se prolonger ?

Il y a de fortes probabilités que ces précipitations se prolongent au printemps, car cette configuration atmosphérique s’inscrit dans la durée et influence le cycle de circulation dans l’hémisphère nord. El Niño et La Niña alternent selon un cycle connu dans le Pacifique. Cela explique les enchaînements récurrents de sécheresses, interrompus parfois, comme actuellement, par des périodes de précipitations importantes. Cependant, le problème majeur c’est que nous ne savons pas tirer parti de ces eaux lorsqu’elles reviennent sur le territoire marocain. Elles causent souvent plus de dégâts que de bénéfices : inondations, dégradations d’infrastructures, pertes matérielles, voire humaines. C’est pourquoi je recommande d’anticiper ces épisodes en aménageant des infrastructures capables de stocker ces eaux pour les réutiliser ultérieurement, notamment en période de sécheresse. Il faudrait également construire des barrages dans les zones sèches, afin que ces épisodes pluvieux exceptionnels soient mis à profit. Cela représenterait une véritable valeur ajoutée, en complément des solutions, projets, technologies et outils développés par le Maroc. 
 
Recueillis par O. A.

Stress hydrique : Le retour des pluies atténue une situation devenue critique
Lors de la séance des questions orales du mardi 15 avril 2025 à la Chambre des Conseillers, le ministre de l’Équipement et de l’Eau, M. Nizar Baraka, a affirmé que les récentes pluies ont amélioré de manière significative la situation hydrique au Maroc. D’après lui, les récentes précipitations ont permis de reconstituer l’équivalent d’une année et demie de besoins en eau potable à l’échelle nationale. Ce changement a amélioré une situation qui devenait critique à l’approche de la saison estivale. Tous les bassins hydrauliques du pays ont bénéficié de ces apports, ce qui a permis, selon le ministre, de passer d’un état de stress hydrique aigu à une situation de stress modéré. Il a précisé que les volumes entrants dans les barrages ont augmenté de 45% par rapport à la même période l’an dernier. Dans certaines régions comme Errachidia et Zagora, autrefois confrontées à une grave pénurie, les récentes réserves permettent désormais de couvrir jusqu’à trois ans de besoins en eau potable, grâce notamment aux barrages nouvellement mis en service. 

Précipitations : Les taux de remplissage des barrages en nette amélioration
D’après le site maadialna.ma du ministère de l’Équipement et de l’Eau, les ressources en eau de plusieurs barrages du Royaume ont enregistré une hausse notable entre le lundi 14 et le mercredi 16 avril, à la faveur des précipitations survenues dans différentes régions. Ces apports ont contribué à alimenter les retenues et à relever les niveaux de remplissage. Dans la région de l’Oriental, le barrage Mohammed V a vu son volume augmenter de 3,4 millions de mètres cubes, atteignant un taux de remplissage de 80,1%. Le barrage Al Wahda, situé dans la province de Taounate, a pour sa part reçu plus de 3,6 millions de mètres cubes, portant son taux à 58,6%. Plus grand barrage du pays, il joue un rôle central dans l’approvisionnement en eau potable et l’irrigation. Dans la province d’Azilal, le barrage Bin El Ouidane a bénéficié d’un apport estimé à 7,9 millions de mètres cubes. Malgré un taux de remplissage encore faible (13,7%), cette hausse est jugée encourageante au regard de sa capacité et de son importance stratégique. En n, dans la province d’Errachidia, le barrage Hassan Addakhil a gagné environ 2,1 millions de mètres cubes, atteignant un taux de 71,8%. Il s’agit d’un ouvrage crucial pour cette région aride, confrontée à des défis récurrents de gestion hydrique. Ces évolutions, bien que locales, nourrissent un certain optimisme, et rappellent l’impact direct des précipitations sur la sécurité hydrique du pays. Elles con rment surtout l’urgence d’une gestion durable des ressources face aux aléas climatiques croissants. 

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