Le brouillard chaud du hammam enveloppe les corps comme une caresse.
Les femmes rient, discutent, se confient.
Ici, entre les mosaïques humides et le parfum du savon noir et la pudeur cohabite avec la solidarité.
C’est un monde de femmes, un refuge ancien.
Et c’est là, peut-être, que commence une nouvelle histoire de santé publique : celle de la prévention du cancer du sein là où bat le cœur du quotidien féminin.
Khadija, 46 ans : “Une petite boule que je n’ai pas ignorée”
Khadija est “maalma” dans un hammam de Salé depuis vingt ans.
Elle a vu passer des milliers de femmes — jeunes, âgées, mères, filles, riches ou modestes.
Mais il y a deux ans, c’est sur elle-même qu’elle a remarqué quelque chose d’étrange.
“Une petite boule, comme une graine sous la peau. J’ai cru que c’était rien… mais j’avais entendu à la télé parler de l’autopalpation et le dépistage précoce du cancer des seins »
Ele a consulté.
Le diagnostic est tombé : cancer du sein, mais à un stade très précoce.
Aujourd’hui, Khadija est guérie.
Son sourire éclaire la vapeur.
“Si j’avais attendu, je ne serais peut-être plus là. Maintenant, j’en parle à toutes les femmes qui viennent au hammam.”
Son histoire résume une vérité que la médecine répète sans relâche :
le dépistage précoce sauve des vies.
Le regard du radiologue : l’image qui révèle la vie
Dans son cabinet de radiologie à Salé, le Dr B.B. spécialiste reconnu, regarde l’écran avec l’attention d’un orfèvre.
Les images s’enchaînent, silencieuses, sur la lumière bleue du moniteur.
“Ce que nous voyons, dit-il, ce ne sont pas des tumeurs. Ce sont des secondes gagnées. Des destins préservés.”
Pour lui, la mammographie est un geste de vie.
Elle permet de détecter des tumeurs de quelques millimètres, invisibles à l’œil nu, longtemps avant les symptômes.
“Quand une femme fait régulièrement sa mammographie ou son échographie, explique-t-il, on peut intervenir à temps. Et à ce moment-là, tout change : la guérison est réelle, le sein est préservé, la confiance revient.”
Chaque cliché est une histoire.
Chaque dépistage est un acte de courage.
Le projet des hammams : une prévention à visage humain
Dans le cadre du mois rose, une idée audacieuse circule :
former les travailleuses des hammams et des salles de massage à repérer les signes suspects et à encourager les femmes à s’auto-examiner.
Ces femmes, souvent issues de milieux modestes, ont une proximité unique avec les usagers des hammams.
Leur regard, leur parole, leur tact peuvent devenir des relais essentiels de la santé féminine.
“Nous ne demandons pas qu’elles deviennent des médecins,” explique une responsable d’association de lutte contre le cancer.
“Mais qu’elles deviennent des messagères.
Des femmes qui parlent aux femmes, avec les mots du cœur et la pudeur de la culture.”
En Tunisie, ce modèle existe déjà — et il fonctionne.
Les “assistantes de hammam” y sont devenues les sentinelles de la prévention.
Résultat : des cancers détectés plus tôt, des traitements plus légers, et des vies sauvées.
Dr Boumehdi , radiologue marocain : “Entre science et humanité”
Dans son bureau, la Dr BOUMEHDI affiche sur le mur un ruban rose et une phrase :
“La science sans humanité est une lumière sans chaleur.”
Elle soutient pleinement l’idée d’intégrer la prévention dans les lieux du quotidien.
“Le hammam, dit-elle, c’est un espace où les femmes baissent la garde, où elles sont elles-mêmes. C’est là que la parole peut naître, que la peur se dissipe. Si nous voulons sauver plus de vies, il faut aller vers elles, là où elles vivent.”
Son message est clair : la santé communautaire doit être féminine, inclusive et culturelle.
Un Maroc de solidarité et de vigilance
L’idée d’un programme national de formation — baptisé “Les Mains du Bien” — prend forme dans les milieux médicaux et associatifs.
Elle rassemblerait le ministère de la Santé, les associations de lutte contre le cancer, les cliniques privées, les radiologues et les organisations féminines.
Un projet à double portée :
médicale, en favorisant la détection précoce ;
sociale, en valorisant des métiers souvent invisibles.
Dans un pays où le mot “sein” reste parfois difficile à prononcer, cette approche douce et enracinée pourrait briser les tabous sans heurter les traditions.
Entre vapeur et espérance
Revenons à Khadija.
Ce matin d’octobre, elle frotte le dos d’une cliente, l’eau chaude ruisselle, la vapeur danse.
Elle parle doucement :
“Ma sœur, prends soin de ton corps. Va voir ton médecin, fais ta radio. C’est important.”
Dans son geste, il y a la tendresse du soin, la sagesse du vécu, et un message universel :
la vie mérite qu’on la touche, qu’on la protège, qu’on la célèbre.
Octobre rose n’est pas qu’un mois de prévention.
C’est un mois d’amour, de vigilance et de courage partagé.