Terrorisme : Quel avenir pour les Marocains détenus en Syrie ? [INTÉGRAL]

L’avenir des ex-combattants détenus par les groupes terroristes en Syrie demeure incertain. Le Centre Nordique pour la Transformation des Conflits (NCCT) a appelé à la mise en place d’une politique de rapatriement axée sur la réintégration effective des personnes concernées, afin de les transformer en acteurs de la déradicalisation.

En décembre dernier, la Syrie a entamé une nouvelle ère après la chute du régime de Bachar al-Assad : la nomination du nouveau président intérimaire, Ahmad al-Chareh, et la formation d’un gouvernement chargé d’édifier un régime démocratique dans le pays. Si cette transition a été largement célébrée par les Syriens, qui espèrent construire un nouveau pays, elle a également ravivé l’espoir d’un rapatriement de centaines d’ex-combattants et de leurs familles encore détenus en Syrie par les groupes terroristes. 
 
Selon les dernières estimations, ils seraient 591 individus, dont 135 hommes, 103 femmes et 292 enfants. On y compte des anciens miliciens de Daech et d’Al-Qaïda qui ont rejoint le front syrien à partir de 2014 avec leurs familles. 
 
En effet, les données du Bureau Central d’Investigations Judiciaires (BCIJ) énumèrent un total de 1662 Marocains qui ont été pris dans le piège du “djihadisme” en Syrie et en Irak depuis 2011, 1060 se sont embrigadés à Daech, 100 dans le groupe Cham Al-Islam et 50 dans le front Al-Nosra, alors que 745 djihadistes ont été tués. En 2019, 200 revenants avaient été arrêtés et jugés, recevant des peines allant de 10 à 15 ans de prison, selon la même source. 
 
Jusqu’en 2022, les autorités marocaines ont pu rapatrier 137 combattants, 99 femmes et 82 mineurs, qui ont ensuite été jugés. D’autres restent cependant détenus dans des conditions inhumaines, sous le contrôle de groupes terroristes. Leur rapatriement demeure incertain en raison de nombreux facteurs, notamment la situation en Syrie encore en reconstruction après l’installation du nouveau gouvernement et la mise en place progressive des institutions judiciaires. À cela s’ajoutent les négociations complexes avec les groupes terroristes en vue de leur libération.
 
Des préoccupations sécuritaires émergent…
 
Dans son récent rapport intitulé: «Adultes Affiliés au Terrorisme : de l’Allégation à la Justice Rendue», le Centre Nordique pour la Transformation des Conflits (NCCT) a également souligné les préoccupations sécuritaires des autorités marocaines, qui perçoivent ces personnes comme une potentielle menace.
 
Le rapport, mené avec l’appui du gouvernement des Pays-Bas dans le cadre de la collaboration entre le Maroc et ce pays européen au sein du Forum Global Contre le Terrorisme-GCTF, appelle à la mise en place d’une politique claire axée sur le rapatriement accéléré des ex-combattants détenus dans les camps macabres des forces kurdes, car leur présence prolongée dans les camps pourrait alimenter le ressentiment et la radicalisation. 
 
Face au risque de radicalisation, cette vision, telle qu’elle a été promue par le NCCT, doit être accompagnée par une action inclusive en matière de réintégration des ex-djihadistes sur le long terme. Il s’agit, selon le Centre, de soutenir ces individus vulnérables dans leur reconstruction de vie en sécurité et en dignité, tout en les faisant adhérer à une démarche plus large, celle de la recherche de la vérité concernant les cellules potentielles dormantes au Royaume.

 

Réintégration économique des ex-combattants rapatriés
 
“Le Maroc a réalisé des résultats remarquables en matière de déradicalisation dans le cadre du programme Moussalaha et l’initiative «ReOrient», promouvant une déradicalisation pratique, centrée sur la re-socialisation et la réduction de la fracture entre ex-terroriste et sa communauté”, a souligné Noufal Abboud, fondateur et directeur exécutif du NCCT. Il a souligné que le choix de lancer le rapport du Centre depuis le Maroc n’est pas anodin, relevant qu’il s’agit d’une reconnaissance du processus de justice transitionnelle engagé dans le Royaume au début des années 2000.
 
Ces programmes servent, ajoute-t-il, de plateforme pour la déradicalisation des ex-combattants liés aux groupes terroristes en cas de rapatriement, à condition d’enjoindre l’effort communautaire de proximité que le NCCT juge nécessaire en vue d’une réinsertion durable tant pour prévenir la récidive que pour lutter contre la stigmatisation. 
 
Concrètement, il s’agit de concilier paix et développement économique dans le traitement de ce dossier conformément à l’initiative atlantique portée par Sa Majesté. “Cela suppose un accompagnement plus structuré des personnes concernées après qu’elles purgent leurs peines, notamment à travers des formations en entrepreneuriat, ce que nous mettons en œuvre actuellement en partenariat avec plusieurs institutions”, détaille le fondateur du NCCT.
 
Les ex-djihadistes comme vecteurs de déradicalisation
 
Même son de cloche auprès de la directrice exécutive de Bulan Institute for Peace Innovations, Cholpon Orozobekova. Elle a souligné que la réintégration économique des concernés demeure plus que jamais nécessaire pour prévenir les retours à la violence suite à la montée de la radicalisation, rappelant l’importance de tenir compte de l’approche de genre.
 
Le NCCT insiste sur la nécessité de reconnaître comme des personnes ordinaires les adultes affiliés au terrorisme, rapatriés dans leurs pays d’origine. Ces personnes doivent être au cœur de toute opération de lutte contre le terrorisme, notamment dans les procédures judiciaires, les commissions de vérité et les mécanismes de réparation, permettant de lutter contre la radicalisation. Autant de mesures que le Centre Nordique pour la Transformation des Conflits juge nécessaires pour faire des ex-djihadistes des vecteurs de déradicalisation. 
 
Saluant le chemin parcouru par le Royaume dans ce sens, le Centre a exprimé sa volonté de renforcer la coordination avec les instances concernées, mais aussi avec la société civile, pour participer à l’effort collectif en matière de réintégration des ex-combattants liés aux groupes terroristes. 
 
Mina ELKHODARI

Trois questions à Naoufal Abboud : « La réintégration effective des ex-combattants détenus en Syrie est une voie de lutte contre la radicalisation »
 

Votre rapport insiste sur la justice transitionnelle dans la réintégration des ex-combattants liés aux groupes terroristes. En quoi consiste cette approche ?

 
D’abord, il faut reconnaître que la structure judiciaire internationale, telle qu’elle existe aujourd’hui, ne suffit pas à assurer des poursuites efficaces contre les concernés. De plus, ces mécanismes sont souvent centrés uniquement sur le passé, sur les crimes déjà commis. Or, pour nous, cela ne suffit pas, car il s’agit de centaines, voire de milliers de personnes avec lesquelles nous devons coexister au quotidien. C’est pourquoi nous pensons qu’il est essentiel de combiner deux approches, une qui se tourne vers le passé, à travers la justice, et une autre tournée vers l’avenir, qui vise à construire la paix et la réconciliation.
 

Comment percevez-vous le chemin parcouru par le Royaume dans ce sens ?

 
Le Maroc a joué un rôle important en proposant une démarche originale en matière de justice transitionnelle. Au lieu d’adopter une approche purement punitive, le Maroc a mis en avant une approche axée sur la vérité, la reconnaissance et la réintégration. Là où la première approche se focalise sur la peine, la seconde met l’accent sur la reconstruction sociale, particulièrement face à la montée de la menace terroriste. 
 
Un autre élément clé est la place accordée aux victimes. Dans les procès comme ceux de Nuremberg, les victimes étaient pratiquement absentes du processus. En revanche, dans l’expérience marocaine, à travers l’Instance Equité et Réconciliation (IER), les victimes ont été placées au cœur du dispositif. En effet, la Commission de vérité et de réconciliation au Maroc était composée en grande partie de personnes ayant elles-mêmes été victimes de violations des droits de l’homme. Il s’agit d’une approche réussie. 
 

Comment peut-on renforcer l’approche de lutte contre la radicalisation en vue de prévenir les actes graves comme le terrorisme ?

 
Il n’existe pas de modèle unique pour lutter contre la radicalisation. On a essayé de se concentrer sur le facteur religieux, puis sur la prison, mais ces approches restent insuffisantes. La radicalisation existera toujours, le but est donc d’en limiter les effets et d’encourager l’acceptation de l’autre malgré les différences. Changer les idées d’une personne est très difficile, surtout lorsqu’il s’agit de convictions profondes. Ce que nous faisons, c’est apprendre de chaque expérience et agir sur plusieurs fronts, comme les poursuites judiciaires, la réhabilitation, l’accompagnement psychologique et la réintégration à long terme.

Maroc – Syrie : Coopération renouvelée
SM le Roi Mohamed VI a annoncé lors du 34ème Sommet arabe à Bagdad, le 17 mai 2025, la réactivation des relations diplomatiques avec la Syrie, visant à élargir les perspectives de coopération entre les deux peuples frères. Une mission technique du ministère marocain des Affaires étrangères s’est rendue à Damas pour concrétiser la décision Royale et ouvrir l’ambassade du Maroc à Damas, fermée depuis 2012, à la suite de la détérioration de la situation sécuritaire dans le pays. Cette mesure marque une nouvelle étape dans la normalisation des relations bilatérales entre les deux pays et le renforcement de la coopération dans divers domaines, particulièrement dans la lutte contre le terrorisme. La restauration des canaux diplomatiques permettra de mieux gérer le dossier des familles des djihadistes marocains encore sous les verrous dans les prisons syriennes après avoir été pris dans le piège du djihadisme. Par ailleurs, la reprise de la coopération judiciaire entre Rabat et Damas permettra également d’accélérer la coordination et l’échange d’informations, ce qui facilite le travail des services de Renseignement marocains et donc le rapatriement des détenus.

Programme Moussalaha : 364 bénéficiaires depuis 2017
Le Centre Moussalaha a lancé, à la prison locale de Salé, le programme de réhabilitation dédié aux jeunes détenus (moins de 20 ans) condamnés en vertu de la loi antiterroriste. 

Ce programme intervient dans le cadre de l’opérationnalisation de sa stratégie multidimensionnelle visant à promouvoir la culture de la tolérance, à lutter contre les différentes formes d’extrémisme violent chez cette catégorie de détenus, et à œuvrer à leur réhabilitation et leur réinsertion dans la société. 

Quelque 19 détenus condamnés en vertu de la loi antiterroriste bénéficieront de cette initiative encadrée par des experts spécialisés de la Rabita Mohammadia des Oulémas et du Centre Moussalaha, sous la supervision du Secrétaire Général de la Rabita et président du Centre, Ahmed Abbadi. S’étalant sur cinq mois, le programme s’articule autour de deux axes principaux, à savoir l’accompagnement religieux et intellectuel et le suivi psychologique spécialisé, en plus des rencontres avec les familles des prisonniers bénéficiaires afin de les impliquer dans le processus de réhabilitation de leur progéniture. 

Depuis son lancement en 2017, le programme «Moussalaha» a profité à 364 détenus condamnés dans des affaires d’extrémisme et de terrorisme. Le programme se penche sur les moyens de rejeter les discours violents et de haine tout en permettant aux détenus ciblés de mieux comprendre la religion, notamment à travers la consécration des concepts sains et authentiques dans les esprits des bénéficiaires du programme. L’objectif est de favoriser leur réinsertion au sein de la société et leur implication dans les initiatives visant une meilleure intégration socioprofessionnelle. 

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