Le recensement 2024 confirme le déclin démographique de nombreuses régions rurales marocaines, marqué par le vieillissement, l’exode des jeunes et une natalité en baisse.
Depuis la publication des résultats du 7ème recensement de la population organisé par le Haut-Commissariat au Plan (HCP) du 1er au 30 septembre 2024, plusieurs tendances démographiques se confirment, notamment les plus préoccupantes. C’est le cas par exemple pour le phénomène de dépeuplement de certaines zones rurales marocaines, avec des régressions des nombres d’habitants ruraux au niveau des régions de Tanger-Tétouan-Al Hoceima (1.391.407 habitants contre 1.419.346 en 2014), l’Oriental (788.951 contre 797.665 en 2014), Fès-Meknès (1.612.545 habitants contre 1.667.166 en 2014), Béni Mellal-Khénifra (1.242.309 habitants contre 1.278.529 en 2014), ou encore Drâa-Tafilalet (1.047.899 personnes contre 1.071.808 en 2014). Le HCP avance pourtant un taux d’accroissement annuel moyen de la population rurale de 0,22%. Le chiffre s’explique certainement par les augmentations des habitants ruraux qui perdurent encore dans certaines régions (Rabat-Salé-Kénitra, Casablanca-Settat et Marrakech-Safi, notamment).
Exode jeune et actif
«Au Maroc, l’effectif total des personnes qui ont quitté les communes rurales pour s’installer dans les villes entre 2009 et 2014 s’élève à 760.000 personnes, soit un flux moyen de 152.000 migrants par an. Cet exode rural représente près de 20,7% de l’ensemble de la population migrante interne et 1,1% de la population rurale du Maroc en 2014», soulignait le HCP dans une note publiée en janvier 2023. «Depuis les années 90, on a constaté que la composition par sexe des migrants ruraux connaît d’importantes mutations dans le sens d’une féminisation accrue. En effet, la femme rurale participe à la migration à plusieurs titres. D’abord de sa propre initiative dans le cadre d’une migration autonome ou à la recherche de conditions de vie meilleures, ensuite comme accompagnatrice de l’homme en tant que conjointe ou membre de la famille, ou encore comme responsable du ménage», ajoute la même source, qui note par ailleurs que 41,3% de ces migrants ruraux ont entre 15 et 29 ans et 30,8% sont analphabètes.
Précarité croissante
Dans sa récente note d’information relative à la situation du marché du travail au troisième trimestre de 2024, le HCP constate «une création de 231.000 postes de travail en milieu urbain et une perte de 17.000 postes en milieu rural» entre le troisième trimestre de 2023 et celui de 2024. Si le taux de chômage au niveau national est passé de 13,5% à 13,6%, en stagnant à 17% en milieu urbain, il a augmenté en milieu rural passant de 7% à 7,4%. Autre chiffre indicateur préoccupant, le secteur de l’agriculture, forêt et pêche a pour la même période perdu 124.000 postes d’emploi (-5%), résultat d’une baisse de 133.000 postes en milieu rural et d’augmentation de 9.000 postes en milieu urbain. Le taux de sous-emploi est lui aussi resté élevé dans les zones rurales, atteignant 12%, alors qu’il se situe à 8,8% en milieu urbain. Autant d’indicateurs qui soulignent la précarité croissante des emplois en milieu rural et la difficulté de maintenir une main-d’œuvre stable dans ces zones.
Solutions potentielles
Pour atténuer ces tendances de dépeuplement, des solutions de revitalisation des zones rurales sont nécessaires. Le constat aussi bien que les solutions potentielles ont fait l’objet de publications du Haut-Commissariat au Plan depuis plusieurs années déjà. «Le développement économique et social des zones rurales doit être soutenu par des politiques de proximité», recommande l’institution dans son rapport sur le développement régional datant de 2019, insistant sur l’importance de «renforcer l’accès aux infrastructures de base, telles que les routes, l’eau potable et l’électricité». La diversification des activités économiques est également évoquée, notamment dans des domaines tels que «l’artisanat, le tourisme rural et les énergies renouvelables». Un soutien ciblé aux petites exploitations agricoles, combiné à des politiques encourageant l’installation de jeunes dans les métiers de l’agriculture, pourrait aussi contribuer à «stabiliser la population rurale» et à freiner l’exode rural.
Omar ASSIF
3 questions au Pr El Mehdi Ferrouhi, économiste « Les régions rurales présentent souvent moins d’opportunités »
Qu’est-ce qui pousse les populations rurales de certaines régions du Royaume à l’exode ?
Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène. Les régions rurales présentent souvent moins d’opportunités d’emploi et des revenus plus bas que ceux des villes. Le milieu rural est également caractérisé par un accès limité aux infrastructures de base (eau potable, électricité, santé) ainsi qu’à l’éducation (absence d’établissements de formation professionnelle et d’établissements universitaires), en raison de la faible densité de population. À ces facteurs s’ajoutent les années de sécheresse successives au Maroc, qui ont affecté les agriculteurs avec des pertes de récoltes et de bétail, rendant ainsi la ville un refuge privilégié, prometteur de conditions de vie meilleures.
Quel impact à terme de cet exode ?
A terme, l’exode pourrait entraîner la dégradation des terres agricoles et affecterait la production agricole, ce qui rendrait le pays plus dépendant aux importations. Les villes subiraient une pression accrue sur les infrastructures urbaines (logement, transport, santé), ce qui pourrait conduire à la propagation de l’habitat informel (tels que les bidonvilles) et à une dégradation des conditions de vie en ville. Également, les migrants ruraux pourraient trouver des difficultés à trouver un emploi et devoir ainsi travailler dans des activités peu rémunératrices, ce qui pourrait accentuer les disparités économiques et sociales.
Quelles solutions pour limiter ce phénomène ?
Il est essentiel d’améliorer les conditions de vie en milieu rural afin de le rendre plus attractif. Des programmes de développement économique, tels que l’encouragement de l’entrepreneuriat rural et la promotion de l’agriculture durable, seraient bénéfiques. Des programmes de formation adaptés aux jeunes ruraux leur permettraient de trouver un emploi sans avoir à migrer vers les villes. L’amélioration des infrastructures de base (logement, santé, éducation, transport) rendrait également les zones rurales plus attractives en répondant aux besoins fondamentaux des populations. A cela, s’ajoute la mise en place de politiques gouvernementales de gestion de l’eau, comme la construction de barrages et l’installation de systèmes d’irrigation modernes, ce qui permettrait de réduire le gaspillage d’eau et d’optimiser l’irrigation dans l’agriculture, rendant ainsi ce secteur vital de l’économie marocaine plus rentable et plus attractif.
Tendances : La démographie rurale conditionnée par la proximité de grandes villes ?
Le recensement de 2024 montre des variations importantes dans les dynamiques de population selon les régions. Les zones rurales sont marquées par une baisse continue de la taille moyenne des ménages. Cette diminution, visible depuis les années 90, s’explique par l’évolution des modes de vie et des migrations internes qui fragmentent les familles. Les régions de Casablanca-Settat et Rabat-Salé-Kénitra, à forte concentration urbaine, montrent encore des hausses de population dans leurs zones rurales, contrastant avec la baisse observée ailleurs. Ce phénomène met en évidence un monde rural à deux vitesses, où la proximité des grands centres urbains maintient une certaine vitalité démographique, tandis que les régions éloignées s’appauvrissent en population. La baisse du nombre d’enfants par ménage et l’augmentation de l’âge moyen des habitants font des campagnes marocaines un espace où les besoins sociaux évoluent, nécessitant de nouvelles approches en matière de services et de développement local.
Société Un tournant démographique pour les zones rurales marocaines
Les évolutions démographiques récentes au sein des zones rurales marocaines témoignent d’une profonde transformation sociétale du Royaume. Selon les données publiées par le Haut-Commissariat au Plan (HCP) dans le recensement général de la population et de l’habitat de 2024, le nombre de ménages ruraux atteint 2,8 millions, marquant une légère hausse malgré une baisse de la population rurale dans certaines régions. Le vieillissement de la population rurale est toutefois une tendance plutôt marquante. Dans une note d’information publiée en juin dernier, le Haut-Commissariat au Plan estime qu’en 2050, le ratio de dépendance en milieu rural atteindra 74 personnes âgées pour 100 actifs, comparé à 53 pour 100 en milieu urbain. Cette évolution est renforcée par un exode continu des jeunes, ce qui accentue le déséquilibre démographique des campagnes. Le recul de la fécondité est un autre facteur significatif. Le HCP indiquait dans son rapport de 2014 que le taux de fécondité en milieu rural s’élevait à 2,7 enfants par femme, or, dix ans plus tard, en 2024, ce taux est tombé à 2,4 enfants par femme, selon les statistiques du recensement. Enfin, le phénomène migratoire contribue à vider les campagnes de leur jeunesse. Dans une note de janvier 2023, le HCP rapportait que, entre 2009 et 2014, 760.000 personnes ont quitté les zones rurales pour s’installer en ville, soit 1,1% de la population rurale de l’époque. Cette migration massive reste une réalité, déséquilibrant encore davantage la structure démographique du monde rural.