Après une longue attente, les officines passent à l’offensive

Le projet de décret sur les prix des médicaments ne cesse d’irriter les pharmaciens, qui dénoncent leur exclusion et menacent de se mobiliser. Décryptage.

 

Le projet de décret sur la fixation des prix des médicaments, annoncé comme imminent par le ministre de la Santé Amine Tahraoui le 21 juillet dernier, s’apprête à être soumis au Conseil de gouvernement. Présenté comme une avancée majeure pour réduire la facture des ménages et soulager le système de protection sociale, ce texte suscite pourtant de vives contestations au sein de la profession. En première ligne, la Confédération des Syndicats des Pharmaciens du Maroc (CSPM), qui dénonce son exclusion des discussions finales. Elle affirme n’avoir eu que deux rencontres avec le ministre, sans retour concret sur ses recommandations.
 

La révision de la tarification nationale de référence figure depuis des années à l’agenda politique, sans qu’aucune percée réelle n’ait été enregistrée. La grille des prix actuelle, instaurée en 2006, n’a jamais été actualisée. Pourtant, le ministère de la Santé avait érigé ce chantier en priorité, dans un contexte marqué par la généralisation de l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO) et les réformes impulsées par la loi-cadre 06-22. Mais là où les pouvoirs publics voient une réforme structurelle, les officines redoutent un texte qui fragilise davantage un secteur déjà en difficulté. Beaucoup de pharmacies, notamment en zones rurales, peinent à maintenir leur équilibre financier.
 

Pharmaciens en colère

La Confédération des Syndicats des Pharmaciens du Maroc (CSPM), qui se plaint régulièrement de son éviction des décisions stratégiques, a multiplié ces dernières semaines les communiqués et les mises en garde. Deux lettres officielles ont même été adressées, l’une au chef du gouvernement, le 28 juillet, et l’autre au ministre de la Santé, le 17 juillet. Dans ces courriers, la Confédération dénonce son «écartement injustifié» et alerte sur le risque de déstabilisation d’un secteur officinal déjà fragilisé.

Estimant avoir «épuisé toutes les voies de communication sérieuse» avec l’Exécutif, la CSPM a décidé de passer à l’action. Un plan de lutte graduelle a été adopté lors d’un Conseil tenu jeudi dernier. Les premières mesures prévoient le port d’un brassard noir par l’ensemble des pharmaciens du Royaume, du lundi 18 août au mardi 9 septembre 2025, ainsi qu’un sit-in national devant le ministère de la Santé, prévu le 9 septembre à Rabat.
 

Le Conseil national de la Confédération appelle à une mobilisation «forte et unitaire» de la profession, qu’elle soit urbaine ou rurale. Il tient directement le gouvernement et le ministère responsables d’un blocage qui, selon lui, met en péril la sécurité pharmaceutique nationale. «Porter atteinte à la stabilité du secteur pharmaceutique revient à menacer la sécurité médicamenteuse des Marocains», souligne la CSPM, qui promet d’autres actions si ses revendications ne sont pas entendues.
 

L’argument de la soutenabilité
 

Intervenant dans le cadre de la séance des questions orales à la Chambre des Représentants, lundi 21 juillet 2025, le ministre de la Santé et de la Protection sociale, Amine Tahraoui, a souligné que les prix actuels des médicaments constituaient un fardeau réel, aussi bien pour les ménages que pour le système national de protection sociale. Selon les chiffres de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS), les dépenses liées au remboursement des médicaments ont connu une hausse de 31% entre 2022 et 2024, notamment avec la généralisation de l’Assurance Maladie Obligatoire. Une pression grandissante sur les finances publiques qui exige, selon Tahraoui, une réponse structurelle.
 

Le projet de décret actuellement en préparation vise à remplacer le décret n° 2.13.852 de 2013, dans l’objectif de permettre une baisse notable des prix des médicaments. Il s’inscrit dans le cadre de la réforme du système de santé portée par la loi-cadre 06-22 et par la généralisation de l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO).
 

Tahraoui assure avoir mené ce projet dans une dynamique participative, citant plus de trente réunions avec les fédérations industrielles, les assureurs et les représentants des pharmaciens. Un discours que la CSPM rejette catégoriquement, affirmant ne pas avoir été associée à la rédaction finale.
 

Le spectre des ruptures de stocks
 

Si le ministère défend un dispositif «innovant», reposant sur la réduction des délais de révision des prix, la mise en œuvre progressive de la réforme, le maintien des médicaments à bas prix et l’encouragement de la production locale, les pharmaciens redoutent l’effet inverse. Selon Mohamed Lahbabi, président de la CSPM, «à force de réduire des prix déjà très bas, les industriels finissent par retirer leurs produits du marché marocain. Au final, c’est le citoyen qui est le premier perdant».
 

La Confédération pointe du doigt le risque de voir disparaître certains médicaments jugés peu rentables, ce qui pourrait créer des pénuries récurrentes. «Une situation qui, au-delà des tensions sociales, mettrait directement en danger l’accès des Marocains aux traitements essentiels».
 

Un front pharmaceutique fracturé
 

La CSPM n’est toutefois pas la seule voix du secteur. Le Syndicat National des Pharmaciens du Maroc (SNPM) adopte une position diamétralement opposée. Dans un communiqué, il salue le projet comme un «chantier structurant» et affirme que le dialogue engagé avec le ministère est «sérieux et constructif».
 

Quant au Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens (CNOP), il a exprimé sa réserve, déclarant n’avoir pas été associé à l’élaboration du texte. Son président, Hamza Guedira, précise néanmoins qu’un avis sera rendu une fois le décret officiellement transmis.
 

Une équation toujours ouverte

À l’heure où le gouvernement veut réduire la charge des médicaments pour les ménages et renforcer la soutenabilité du système de santé, le bras de fer avec une partie des pharmaciens souligne l’ampleur des fractures internes. Entre nécessité de baisse des prix et risque d’affaiblissement du réseau officinal, la réforme reste au cœur d’un débat tendu.
 

Reste à savoir si le Conseil de gouvernement tranchera en faveur d’un compromis inclusif ou si le décret viendra entériner une fracture qui menace de s’élargir. Dans les deux cas, c’est la sécurité d’accès des citoyens aux médicaments qui demeure l’enjeu central.

 

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