​Forum de Rabat 2025 : L’Afrique face au défi institutionnel des Objectifs de Développement Durable

Le 15 juillet 2025, Rabat a été le théâtre de la 16ᵉ édition du Forum panafricain ministériel sur la modernisation de l’administration publique et des institutions de l’État, organisé par le Centre africain de formation et de recherche administrative pour le développement (CAFRAD), en partenariat avec le Gouvernement du Royaume du Maroc.

Placé sous la présidence de Madame la Professeure Amal El Fallah Seghrouchni, Ministre déléguée chargée de la Transition numérique et de la Réforme de l’administration, ce sommet de haut niveau a réuni ministres, ambassadeurs, universitaires, experts internationaux et partenaires techniques autour d’une conviction partagée : sans transformation systémique de ses institutions, l’Afrique ne pourra atteindre les Objectifs de Développement Durable (ODD) à l’horizon 2030.
 
Un thème mobilisateur dans un contexte critique
Sous le thème stratégique : La place du leadership dans l’implémentation de la gouvernance publique responsable en vue de l’accélération de la mise en œuvre des ODD et de l’Agenda 2063, le forum a mis en exergue l’urgence d’une réforme en profondeur des structures de gouvernance en Afrique.

Dans un environnement global marqué par l’instabilité géopolitique, le ralentissement économique, la crise climatique, l’essor technologique accéléré et une fatigue multilatérale croissante, les États africains doivent impérativement mener une double transition, institutionnelle et structurelle, pour garantir la pérennité de leurs trajectoires de développement.
Selon Mme Ilaria Carnevali, Représentante résidente du PNUD au Maroc : Seulement 6 % des cibles mesurables des ODD sont en bonne voie d’atteinte en Afrique. Sans transformation urgente, près de 492 millions de personnes risquent de sombrer dans l’extrême pauvreté d’ici 2030.
 

Repenser les fondations de la gouvernance publique
Les travaux du forum, déclinés en panels ministériels, sessions techniques et ateliers participatifs, ont porté sur huit axes structurants, illustrant les priorités d’une gouvernance africaine moderne, efficace et inclusive :
1. Leadership agile, transformationnel et éthique dans un contexte VICA+P (Volatilité, Incertitude, Complexité, Ambiguïté, Paradoxe) ;
2. Transformation numérique des administrations : interopérabilité, cybersécurité, intelligence artificielle, accès équitable aux services ;
3. Financement public durable : obligations vertes, fiscalité écologique, mécanismes de partenariat public-privé innovants ;
4. Résilience institutionnelle, face aux crises multisectorielles et à la volatilité systémique ;
5. Renforcement du capital humain : développement des soft skills, formation continue, éthique publique et redevabilité ;
6. Pilotage par la performance : gouvernance axée sur les résultats mesurables et l’impact social tangible ;
7. Territorialisation des politiques publiques, avec un recentrage sur la gouvernance locale et les collectivités ;
8. Évaluation de la qualité administrative, à travers des outils comme l’OQADD (Observatoire Qualité de l’Administration pour le Développement Durable).
 
Gouvernance administrative : le maillon faible du développement
Les échanges ont mis en lumière un constat récurrent : l’insuffisance structurelle des administrations publiques africaines constitue un obstacle majeur à la réalisation des ODD, en particulier de l’Objectif 16, consacré à la construction d’institutions efficaces, responsables et inclusives.
Les déficiences les plus critiques identifiées sont :
• Un déficit de compétences techniques et managériales au sein des services publics ;
• Une centralisation excessive, nuisant à l’agilité de la gouvernance locale ;
• Une transition numérique encore trop lente, avec des infrastructures souvent inadaptées ;
• L’absence de systèmes de suivi-évaluation rigoureux, limitant l’efficience des politiques publiques.
Dr. Coffi Dieudonné Assouvi, Directeur général du CAFRAD, a résumé l’enjeu avec force : L’Afrique n’a pas besoin d’une réforme cosmétique. Ce qu’il faut, c’est une refondation systémique, centrée sur l’humain, la compétence et la responsabilité.
 
Le prix élevé de l’inefficacité institutionnelle
Les lacunes de la gouvernance ne sont pas seulement un frein politique : elles constituent un handicap économique majeur. Selon les données de la Banque mondiale :
• Jusqu’à 20 % des ressources publiques sont dilapidées chaque année en Afrique subsaharienne du fait de la mauvaise gestion et de la duplication administrative ;
• Le taux moyen de mobilisation fiscale reste inférieur à 15 % du PIB, bien en deçà des normes internationales ;
• La faiblesse de la planification stratégique entrave la performance économique à long terme ;
• En matière de numérique, seuls 13 pays africains disposaient d’un plan de gouvernement électronique fonctionnel en 2024.
 
Une Afrique à deux vitesses : des déséquilibres à corriger d’urgence
Le forum a également mis en évidence les fractures régionales profondes dans la mise en œuvre des ODD :
• L’Afrique du Nord progresse plus rapidement dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’énergie, grâce à des institutions mieux dotées et structurées ;
• L’Afrique subsaharienne fait face à des contraintes structurelles sévères : instabilité politique, informalité économique, pression démographique, conflits armés, dépendance aux matières premières.
Ces déséquilibres compromettent la cohérence de l’intégration africaine et la mise en œuvre unifiée de l’Agenda 2063.

 

Recommandations : vers un nouveau contrat institutionnel africain
À l’issue des travaux, le forum a formulé une feuille de route ambitieuse, articulée autour de cinq axes d’intervention prioritaires :
 

 

Conclusion : 2025–2030, la dernière fenêtre de transformation
 

Le Forum de Rabat 2025 a lancé un appel décisif à l’action. A cinq ans de l’échéance des ODD, le continent africain joue son avenir institutionnel et stratégique. Le temps des constats est révolu. Désormais, il faut :
• Réformer profondément ;
• Coordonner avec cohérence ;
• Exécuter avec rigueur ;
• Responsabiliser durablement.
Les cinq prochaines années sont la dernière fenêtre pour faire de l’administration publique africaine un levier de transformation durable et inclusive. Faute de quoi, l’Afrique risque une nouvelle décennie de stagnation et de marginalisation sur la scène mondiale.
Le destin de l’Afrique se joue ici, maintenant, entre ambition institutionnelle et volonté d’action.

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