Intégrité scientifique et Intelligence Artificielle : l’alerte que le Maroc doit entendre

Le récent Indice d’intégrité de la recherche scientifique 2025, relayé par plusieurs médias, a provoqué un choc salutaire dans l’enseignement supérieur marocain. Plusieurs universités publiques y sont pointées du doigt pour des publications comportant des erreurs méthodologiques ou des cas avérés de plagiat, entraînant leur retrait des bases de données scientifiques internationales. Le classement, fondé sur la qualité et l’éthique des publications plutôt que sur leur quantité, révèle un risque élevé ou très élevé de non-respect des normes d’intégrité académique dans plusieurs établissements.

Ce constat est grave. Il ne s’agit pas de stigmatiser, mais de nommer un problème systémique : celui d’un monde académique parfois piégé par la course aux indicateurs, à la visibilité numérique, et à la publication rapide, au détriment de l’éthique, de la rigueur et du sens.

Ce phénomène n’est pas propre au Maroc. D’autres pays de la région MENA figurent en tête du classement des pratiques frauduleuses. Mais notre pays, avec un nombre significatif d’universités concernées, ne peut plus l’ignorer.

La multiplication des publications n’est pas un signe de vitalité scientifique si elle repose sur des fondations fragiles : absence de relecture sérieuse, choix de revues prédatrices, plagiat, ou manipulation de données. Ce sont les signes d’un système en tension, où les objectifs de carrière ou les impératifs institutionnels peuvent détourner l’acte de recherche de sa finalité première : produire du savoir honnête, durable et partageable.

J’ai moi-même été confronté à un cas particulièrement révélateur. L’un de mes anciens doctorants, que j’avais formé pendant plusieurs années, a commis un plagiat manifeste de l’un de mes livres, qu’il a ensuite utilisé pour constituer son dossier d’Habilitation à Diriger des Recherches (HDR) au Maroc. Malgré une dénonciation argumentée et documentée de ma part, aucune suite n’a été donnée par les instances compétentes.

Pire encore : sur la base de ce dossier entaché de plagiat, il a été promu au poste de Professeur de l’Enseignement Supérieur (PES). Aujourd’hui, il dirige l’une des écoles les plus réputées du pays. Ce n’est pas une simple anecdote, mais le symptôme criant d’un système qui, parfois, récompense la fraude et marginalise la probité.

Ce silence, cette inertie institutionnelle, voire cette complaisance, sont incompatibles avec les valeurs fondatrices de l’université. Car dans le monde scientifique, le silence face à la fraude équivaut à une légitimation de l’imposture.

Sortir de cette situation exige des réponses fortes, lucides, collectives :

– Intégrer l’éthique de la recherche dès le master, avec des modules obligatoires sur le plagiat, la falsification, l’éthique de la publication, et les usages responsables de l’IA.

– Renforcer l’encadrement doctoral avec des critères qualitatifs, des revues reconnues, des supervisions croisées, et des relectures internes avant soumission.

– Former les enseignants-chercheurs aux outils de détection, à l’analyse critique, et à la responsabilité éditoriale.

– Mettre en place des cellules d’intégrité scientifique autonomes dans chaque université, avec pouvoir d’investigation, de conseil et de sanction.

– Créer un Observatoire national de l’intégrité scientifique, rattaché au ministère, pour assurer un suivi indépendant, transparent et pérenne.

L’intelligence artificielle peut être un formidable levier pour transformer la recherche scientifique marocaine, à condition d’en faire un outil éthique et stratégique. Voici sept mesures concrètes à mettre en œuvre :

1. Créer une plateforme nationale de détection des fraudes assistée par IA, croisant plagiat, redondances, citations fictives et choix de revues.
2. Mettre en place un observatoire de l’intégrité scientifique alimenté par l’IA, capable d’analyser les données de production scientifique en temps réel.
3. Déployer des assistants IA pour aider à la rédaction scientifique, tout en assurant le contrôle humain et la traçabilité des contributions.
4. Introduire un module obligatoire “Éthique et IA” dans tous les cycles doctoraux, incluant des cas pratiques et des outils critiques.
5. Créer une plateforme collaborative des comités éthiques universitaires, assistée par IA pour mutualiser les alertes et harmoniser les réponses.
6. Promouvoir la science ouverte (open data, open peer-review) avec l’aide de l’IA pour vérifier la cohérence, l’originalité et la rigueur des données.
7. Labelliser les publications et chercheurs intègres via une évaluation hybride (humaine + IA), pour valoriser les pratiques exemplaires.

L’université marocaine ne manque pas de talents, de chercheurs engagés, ni de jeunes brillants. Mais pour que l’excellence soit reconnue, encore faut-il que la probité soit la règle, et non l’exception. Il est temps de réhabiliter le mérite, la rigueur et la vérité, face au volume, à la complaisance et au simulacre.

L’intégrité scientifique n’est pas un luxe. C’est la condition de la confiance, du respect, et de la transmission.
Transmettre un savoir falsifié, c’est organiser l’oubli de la vérité. Et l’université, si elle renonce à sa rigueur, renonce à sa mission.

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