Interview avec le ministre sud-coréen Ahn Duk-geun : « Notre expertise en construction navale pourrait déboucher sur un partenariat fructueux »

Sous la pression des taxes américaines, Séoul intensifie son rapprochement avec le Maroc, seul pays à être lié à la fois par des accords de libre-échange (ALE) avec les États-Unis et l’Union Européenne. Le ministre sud-coréen du Commerce, de l’Industrie et de l’Énergie, Ahn Duk-geun, trace pour nous les contours de cette nouvelle dynamique stratégique, quelques semaines après avoir accueilli son homologue marocain, Ryad Mezzour.

Le ministre de l’Industrie et du Commerce, Ryad Mezzour, s’est récemment rendu en Corée du Sud, où vous avez évalué les relations bilatérales entre les deux pays. Pouvez-vous nous dresser un état des lieux de cette coopération, qui gagne en vitesse ?

 
– Le Maroc est actuellement le huitième plus grand partenaire commercial africain de la Corée, et les échanges bilatéraux entre nos deux pays ont connu une croissance régulière, augmentant de plus de 25 % au cours des cinq dernières années. Cela reflète, selon moi, la solidité et la vitalité de notre coopération économique, ainsi que le potentiel d’un engagement accru. En effet, les structures industrielles de la Corée et du Maroc sont hautement complémentaires et présentent de nombreux avantages mutuels. Par exemple, la Corée exporte vers le Maroc des matériaux industriels clés tels que l’acier et les textiles, qui sont ensuite transformés localement en automobiles et vêtements. Ces produits finis, fabriqués au Maroc, sont ensuite réexportés vers la Corée et d’autres marchés internationaux, formant ainsi une chaîne de valeur étroitement intégrée entre nos deux pays.
 
De plus, les entreprises coréennes ont considérablement renforcé leurs investissements directs au Maroc, contribuant de manière significative à la croissance économique du pays. Un exemple notable est celui de Hands Corporation, qui a établi une usine de fabrication de jantes en aluminium, représentant le troisième plus grand investissement étranger de l’Histoire du Maroc. Par ailleurs, des entreprises coréennes de pièces automobiles telles que Yura Corporation, SJM et Kwangjin ont également investi dans des unités de production au Maroc, créant ainsi des milliers d’emplois locaux et stimulant l’écosystème industriel marocain. Grâce à ces investissements de type « greenfield », les marques coréennes de produits de consommation – notamment dans les domaines de l’électroménager et des cosmétiques – gagnent en notoriété et en popularité auprès des consommateurs marocains, renforçant la visibilité et l’ancrage des entreprises coréennes sur le marché local.
 

Sur le plan institutionnel, beaucoup de choses ont changé aussi…

 

En effet, notre coopération a aussi fortement progressé sur le plan institutionnel, en particulier à la suite du Sommet Corée-Afrique organisé à Séoul l’année dernière. À cette occasion, le ministre marocain des Affaires étrangères, S.E. Nasser Bourita, et le ministre coréen du Commerce, S.E. In-kyo Jeong, ont signé une Déclaration conjointe actant le lancement de consultations préliminaires en vue de l’ouverture de négociations pour un Accord de Partenariat Économique (APE).
 
Je suis particulièrement enthousiaste à l’idée de conclure cet accord dès que les conditions le permettront, car le Maroc et la Corée partagent de nombreuses similarités, notamment leur attachement à des politiques commerciales ouvertes et leur volonté de développer le secteur manufacturier. L’APE constituera une étape décisive pour approfondir considérablement nos liens économiques et libérer tout le potentiel de notre partenariat bilatéral.
 
Par ailleurs, nos deux pays ont signé un accord mutuel dans le cadre du Fonds de Coopération pour le Développement Économique (EDCF) et mènent actuellement des consultations politiques visant à élargir les financements de coopération. Nous avons également conclu un Accord de sécurité sociale visant à éviter la double cotisation aux régimes d’assurance sociale, ce qui constitue un socle favorable à une plus grande mobilité de la main-d’œuvre entre nos deux nations.

 Dans cette nouvelle dynamique bilatérale, quels sont les secteurs les plus prometteurs pour renforcer la coopération entre nos deux pays ?

 
– Le gouvernement marocain mène actuellement une ambitieuse transformation industrielle, en particulier en renforçant la compétitivité de son secteur manufacturier, notamment dans l’automobile et l’aéronautique. Parallèlement, je note que le Maroc progresse activement dans sa transition numérique, avec une attention particulière portée à la Fintech. De plus, le pays se prépare à tirer parti de la Coupe du Monde de la FIFA 2030 comme d’une opportunité stratégique pour se positionner en tant que hub industriel et touristique dans la région MENA. Dans ce cadre, d’importants investissements sont réalisés dans les infrastructures, incluant la construction du plus grand stade de football au monde, ainsi que la modernisation massive des réseaux de transport et des infrastructures d’accueil afin d’accueillir un nombre important de visiteurs.
 
C’est dans ce contexte que la société coréenne Hyundai Rotem a récemment signé un contrat avec l’Office National des Chemins de Fer (ONCF) du Maroc pour la fourniture de matériel roulant, illustrant une avancée majeure dans notre partenariat infrastructurel. Lors de ma récente rencontre avec le ministre Ryad Mezzour, j’ai exprimé l’espoir que ce projet ferroviaire de Hyundai Rotem puisse servir de tremplin à une coopération industrielle plus large entre la Corée et le Maroc. La Corée est une puissance industrielle qui dispose d’un tissu d’entreprises de classe mondiale comme Hyundai Rotem, qui détient des technologies de pointe et une vaste expérience dans la réalisation de méga-projets. Une collaboration active avec ces entreprises coréennes leaders ne contribuera pas seulement au succès de l’organisation de la Coupe du Monde par le Maroc, mais jouera également un rôle structurant dans les ambitions du Royaume en matière d’innovation industrielle et de transition numérique.
 

 Là, vous faites surtout référence à l’automobile et à la construction navale ?

 
– Les secteurs de l’industrie automobile, de la construction navale, des batteries et de l’énergie propre apparaissent en effet comme les domaines les plus prometteurs pour une coopération renforcée entre nos deux pays. Plusieurs grands équipementiers automobiles coréens opèrent déjà au Maroc, où ils jouent un rôle important dans l’économie locale.
 
Concernant la construction navale, je comprends que le gouvernement marocain prévoit d’augmenter sa capacité de flotte marchande et de moderniser ses infrastructures portuaires pour stimuler le commerce extérieur. Dans ce domaine, la synergie avec les entreprises coréennes pourrait déboucher sur des partenariats technologiques de grande ampleur. Leaders dans la construction navale, les entreprises coréennes offrent un fort potentiel au Maroc.
 
Dans le domaine des batteries, des entreprises coréennes explorent actuellement des projets de raffinage de lithium au Maroc, ce qui permettrait de développer une chaîne de valeur complète pour les batteries de véhicules électriques. En outre, compte tenu de l’abondance de l’ensoleillement et des ressources éoliennes au Maroc, un potentiel considérable de coopération existe également dans les énergies renouvelables et l’énergie propre, notamment dans le domaine de l’hydrogène vert. Ce champ d’innovation représente une opportunité stratégique d’investissement pour les deux pays.
 

Le Maroc est souvent perçu comme une porte d’entrée vers l’Afrique. En quoi cela représente-t-il un avantage stratégique pour les entreprises sud-coréennes qui souhaitent s’implanter sur le continent ?

 
– Situé au carrefour de l’Afrique, de l’Europe et du Moyen-Orient, le Maroc joue un rôle central dans les réseaux logistiques mondiaux. Le port de Tanger-Med, qui traite le plus grand volume de fret en Afrique, constitue un hub maritime stratégique reliant ces trois continents. Au-delà de sa position géographique privilégiée, le Maroc dispose de solides capacités industrielles – notamment dans le secteur automobile –, de réserves importantes de minerais critiques, ainsi que d’une population de 36 millions d’habitants, dont l’âge moyen est de 29,3 ans, autant d’atouts qui alimentent son fort potentiel de croissance.

Le Maroc représente ainsi une opportunité stratégique pour les entreprises coréennes qui souhaitent se développer sur le continent africain, leur permettant de tirer parti de la position géopolitique du Royaume et de ses nombreux avantages. Cette plateforme logistique et industrielle est également renforcée par la stabilité politique et les infrastructures de qualité qu’offre le Maroc. L’Afrique, avec ses 1,5 milliard d’habitants – dont une majorité de jeunes – et ses vastes ressources naturelles, est perçue par un nombre croissant d’entreprises coréennes comme un moteur de croissance incontournable pour l’avenir. En tant que membre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), la plus grande zone de libre-échange au monde, le Maroc offre une plateforme idéale pour les entreprises coréennes désireuses d’établir des bases de production et d’exportation à destination du marché africain. Grâce à sa participation à la ZLECAf, le Maroc donne aux entreprises coréennes un accès préférentiel à un marché régional vaste et en pleine expansion, faisant du Royaume une porte d’entrée stratégique et particulièrement attrayante vers l’Afrique.

Industrie et exportations : Le Maroc, plaque tournante vers d’autres continents
Dans un contexte de tensions commerciales mondiales, notamment avec les États-Unis, la Corée du Sud envisage des stratégies telles que la délocalisation ou la coproduction pour contourner certaines barrières tarifaires. Le Maroc, qui dispose d’accords de libre-échange avec plusieurs grandes économies, dont les États-Unis et l’Union Européenne, représente une plateforme que la Corée envisage de mobiliser pour réorienter une partie de ses chaînes de valeur mondiales.
 
Notre interlocuteur a répondu que face aux défis persistants du commerce international, la Corée du Sud explore de nouveaux marchés d’exportation et cherche à diversifier ses chaînes d’approvisionnement à l’étranger. À cet égard, le Maroc s’impose comme un partenaire commercial stratégique pour la Corée, étant le seul pays africain à avoir conclu des accords de libre-échange à la fois avec les États-Unis et l’Union Européenne, en plus d’un réseau d’accords couvrant plus de 50 pays à travers le monde.
 
Plus particulièrement, la Corée et le Maroc ont établi une chaîne de valeur étroite dans l’industrie automobile. En tant que premier producteur automobile d’Afrique, avec une capacité annuelle de 610.000 véhicules, le Maroc est devenu une plateforme stratégique pour les entreprises coréennes souhaitant accéder au marché européen. Comme mentionné précédemment, plusieurs équipementiers coréens ont déjà ouvert des usines au Maroc, notamment dans la fabrication de jantes en aluminium, générant plus de 2000 emplois et exportant vers l’Europe. Par ailleurs, des projets sont actuellement à l’étude pour l’implantation de sites de production de batteries pour véhicules électriques au Maroc, avec l’objectif de cibler à la fois les marchés européen et américain.
 
«Au-delà du secteur automobile, en combinant les technologies de pointe coréennes et le potentiel du Maroc en tant que hub industriel, nos deux pays sont idéalement positionnés pour générer des synergies importantes. Cela nous permettra non seulement de faire face aux risques liés aux tensions commerciales mondiales, mais aussi de favoriser une croissance mutuelle dans divers secteurs industriels», a conclu le ministre du Commerce et de l’Industrie de la Corée du Sud.

​Le Maroc et la Corée du Sud signeront un Accord de partenariat économique
Les deux pays ont signé, en juin 2024, une Déclaration conjointe sur le lancement de discussions exploratoires pour un cadre juridique en matière de commerce et d’investissement, à l’occasion de la visite du ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, en Corée du Sud. Sur la base de cette déclaration, les deux parties se préparent à entamer les négociations officielles en vue d’un Accord de Partenariat Économique (APE).
 
La Corée a d’ores et déjà finalisé toutes les procédures internes nécessaires pour avancer vers cet APE, et le Maroc achèvera prochainement les étapes préparatoires encore en cours, notamment les études d’impact, afin de pouvoir lancer rapidement les négociations officielles.
 
Dans un contexte d’incertitude croissante du commerce mondial, il est attendu que l’APE entre la Corée du Sud et le Maroc constitue une plateforme juridique et institutionnelle essentielle pour accélérer le partenariat économique. Un environnement commercial et d’investissement sécurisé grâce à l’APE enverra un signal fort et positif aux acteurs économiques, les incitant à renforcer la coopération bilatérale dans les industries manufacturières et à approfondir les échanges dans divers domaines tels que l’énergie propre, l’agriculture ou encore la santé.

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