Interview avec Pr Mohamed Tahiri : « Le secteur des stations d’épuration des eaux usées urbaines est en plein essor »

Honoré de l’Ordre du Mérite Excellent, Pr Mohamed Tahiri revient sur un parcours riche et diversifié, marqué par son enseignement à l’université Hassan II, son engagement dans la recherche et l’innovation ainsi que ses collaborations fructueuses avec l’ONUDI. Il partage son expertise sur la gestion de l’eau et les solutions prometteuses pour un avenir durable.

– L’Ordre du Mérite Excellent, qui vous a été décerné le 10 avril courant à l’Université Hassan II de Casablanca, quel symbole représente-t-il pour vous et pour l’institution ?

– L’Ordre du Mérite Excellent revêt une signification profonde à mes yeux. Il est la reconnaissance d’un engagement envers mon pays que j’ai toujours mené avec sérénité, acharnement et passion. Cette distinction n’est pas une fin en soi, mais plutôt un encouragement puissant qui ravive mon désir de continuer à me consacrer pleinement.

– Comment cette reconnaissance influence-t-elle votre engagement futur dans vos rôles à l’Université, au Laboratoire SOEV et au sein de vos collaborations avec l’Organisation des Nations unies pour le Développement Industriel (ONUDI) ?

– Fort d’une carrière universitaire, débutée en 1987, j’ai constamment œuvré pour l’innovation pédagogique en créant de nouvelles filières et en favorisant la pluridisciplinarité à travers une offre de modules variés. Mon engagement s’est traduit par le développement de formations en phase avec les besoins du marché de l’emploi, notamment dans les domaines cruciaux des changements climatiques, de la protection de l’environnement, de la gestion raisonnée des ressources hydriques, des technologies innovantes de traitement des eaux et de la chimie industrielle.

Par la suite, en tant que titulaire de la Chaire d’Innovation, j’ai activement contribué à l’essor de la propriété intellectuelle, au développement de la culture et de l’entrepreneuriat au sein de l’université, ainsi qu’à la création de start-ups innovantes. Mon rôle de directeur de la Maison de l’Entrepreneuriat et de l’Innovation m’a permis de piloter des projets euro-méditerranéens d’envergure, tels que TEMPUS et Erasmus +.

En parallèle, je dirige un laboratoire de recherches et totalise à ce jour plus de quatre-vingts publications scientifiques de rayonnement national et international. Mon parcours est également jalonné par le dépôt de huit Brevets d’invention et par l’obtention de distinctions prestigieuses, parmi lesquelles le Prix Hassan de l’Environnement en 2009, la Palme d’excellence à Washington en 2012, le Prix de la compétitivité Université – Entreprise en 2013 et les Prix INNOVTEX en 2019 et 2021.

Actuellement, je mets mon expertise au service de l’assurance qualité et de la structuration de la recherche scientifique au sein des Universités francophones de l’Académie Internationale de la Francophonie Scientifique de l’AUF. Mon engagement s’étend au-delà du monde académique. En 2012, j’ai collaboré avec l’ONUDI pour former des industriels de la région MENA et d’Afrique subsaharienne aux énergies renouvelables.

Mon implication en Afrique s’est également concrétisée par de nombreuses formations destinées aux femmes entrepreneures dans le domaine de l’économie verte et circulaire. L’objectif était de les accompagner dans la création de projets générateurs de revenus à partir de ressources locales abondantes (Tchad, Gabon, Côte d’Ivoire, RDC, Burkina Faso, Mali, …).

Ces expériences nourrissent quotidiennement ma passion et mon désir de partager mon savoir et mon savoir-faire dans des domaines aussi variés que la gestion de l’eau, le génie de l’environnement, la bioénergie, la formulation de produits cosmétiques et de détergents à base de plantes aromatiques et médicinales. Il s’agit aussi de la mise en place de bioréacteurs de méthanisation à partir de divers déchets organiques (abattoirs, marchés, déchets ménagers et agricoles, boues de stations d’épuration, déchets agroalimentaires…). Un parcours riche en aventures, en créativité et en innovations !

Il est important de souligner la présence active de l’ONUDI au Maroc, sous l’égide du CNPP (Centre National de Production Propre), qui déploie de nombreux programmes pour les industries marocaines et soutient les entreprises pionnières dans les technologies de la transition verte et de l’économie circulaire.

– En tant que spécialiste en Technologies de Traitement des Eaux et Stations d’Épuration, comment évaluez-vous l’efficacité des stations d’épuration actuelles au Maroc et quelles améliorations préconisez-vous ?

– Le secteur des stations d’épuration des eaux usées urbaines (STEP-EU) est en plein essor au Maroc, malgré un certain retard initial. De nombreuses villes bénéficient désormais de ces infrastructures, bien que la technologie dominante reste le lagunage naturel. On observe, cependant, une transition dans certaines agglomérations vers les systèmes à boues activées (traitement intensif), qui offrent un rendement épuratoire supérieur pour un encombrement réduit.

Le projet d’assainissement rural, initié par le programme PNAR (convention entre le Ministère de l’Intérieur et la KFW-GIZ de la RFA), n’en est qu’à ses débuts. Il représente une avancée cruciale, car il permettra la réutilisation des eaux épurées pour l’irrigation des terres agricoles locales. Cette approche évite le recours à des systèmes de canalisation complexes, souvent difficiles à déployer pour les villages et les douars éloignés des barrages.

De grands chantiers restent à mener au Maroc dans ce secteur vital pour la gestion durable des ressources en eau.

– Quels sont, selon vous, les défis les plus pressants concernant la gestion de l’eau au Maroc ?

– Les défis liés à l’eau sont considérables et exigent des opérateurs véritablement conscients, rigoureux et compétents, dotés d’un réel pouvoir décisionnel. Cette nécessité se fait sentir particulièrement face aux manœuvres parfois trompeuses de certains présidents de communes, qui tendent à justifier des marchés peu pertinents et non durables. Afin de garantir une gestion efficace et transparente, il serait judicieux d’instaurer des commissions d’évaluation des projets proposés par les présidents de communes. Ces commissions devraient examiner l’orientation et la priorisation de ces projets en fonction de leur importance et de leurs impacts socio-économiques réels.

Portrait
De Casablanca à l’ONU, l’innovation au service de l’eau

Dans le bureau clair de son Laboratoire, entre des piles de rapports et des schémas complexes de traitement des eaux, Pr Mohamed Tahiri dégage une énergie tranquille. L’Ordre du Mérite Excellent, fraîchement épinglé à sa veste, ne semble pas l’avoir grisé outre mesure.

Cet expert, reconnu en eau et environnement, n’est pas du genre à se contenter des lauriers. Cette distinction est une reconnaissance, certes, mais surtout un stimulant pour continuer à « donner le cher et onéreux » de lui-même.

Le parcours de Tahiri est une trajectoire obstinée, ancrée dans le terreau fertile de l’Université Hassan II où il enseigne depuis près de quarante ans. Là, il a été un défricheur, plantant les germes de nouvelles filières, mariant les disciplines avec une conviction que l’environnement ne saurait être une simple annexe des savoirs établis. Changements climatiques, protection de l’environnement, gestion raisonnée des ressources hydriques… autant de champs qu’il a contribué à labourer pour préparer les jeunes pousses aux défis d’un Maroc en quête de durabilité.

L’Université n’est pourtant qu’une des facettes de cet homme aux multiples casquettes. Titulaire d’une chaire d’innovation, il a œuvré à faire éclore la créativité estudiantine, encourageant l’éclosion de start-ups comme autant de réponses concrètes aux problématiques environnementales. La Maison de l’Entrepreneuriat et de l’Innovation, qu’il a dirigée, fut un carrefour d’idées, brassant les cultures euro-méditerranéennes à travers des projets ambitieux.

Mais l’horizon de Tahiri dépasse largement les murs de l’Université. Son expertise est sollicitée au-delà des frontières, notamment par l’ONUDI, faisant de lui l’hydrologue qui sème les graines de l’innovation, entre les amphithéâtres de Casablanca et les Missions onusiennes.

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