Le 7 janvier, le complexe cinématographique casablancais Megarama recevait l’avant-première du film « Mon père n’est pas mort » (sorti vendredi 8 dans les salles) de Adil El Fadili. Un récit haut en couleurs racontant pourtant un passé douloureux du pays. Le résultat est frappant d’espoir, une rose au bout du fusil. Et l’intrusion de bribes d’un ancien texte.
Ce garçon, fou comme l’art, s’entête à enfanter, à célébrer. Seul mais accompagné de tous ses démons, il crée par intermittence, se laisse injecter des conseils qui ne font plaisir qu’à ceux qui les donnent et fonce en silence sur des terrains claquant de brouhahas étouffés et pourtant sonores. Adil aime et s’aime. Voilà une posture délicate à sculpter à l’ombre du néant, à l’endroit du fait accompli. Fils de, il flirte jeune avec un art qui le voit bercer et pas forcément le sien. Il entend aller plus loin, chercher ailleurs, se faire mal, s’entendre parler, virant les retours insipides forts en thèmes de brimades gratuites, grosses comme les lendemains de perturbations atmosphériques. On y étouffe en arborant un sourire revanchard. Adil se détache de cette touffe à multiple nœuds et se consacre à la fluidité d’un parcours jonché d’incertitudes. C’est sur ce chemin qu’il se réalise avant de réaliser ses troubles rêves faits de lucidités et d’incertains futurs. Un challenge qu’il accueille à bras-le-corps. Dans une famille artistiquement « détraquée », Adil n’a aucune chance de s’en sortir indemne. Il y va, quittant le Maroc pour y retourner après un séjour en France. Et le voilà faisant EFFET à Paris. En 1992, il remet à l’endroit en 10 mn une « Pièce » déstructurée en 16 millimètres. Première acquisition personnelle et pas la dernière, plutôt le gain en sourdine. Adil El Fadili préfère faire que dire. Il est le père qui ne mourra que lorsqu’il le décidera. Son parcours chatouille la vie, prend par la main les mutilés d’un vécu, se chamaille avec ses incompréhensions. En somme, un être humain au statut de militant aussi long que la vie d’une rose.
En cinéphile inconsolable, Adil El Fadili cherche la chaleur de l’image, le ton grandiose de la réplique qui fait mouche, le geste injuste qui fait VRAI. Il filme en étant dans le film. Il s’arrache les cheveux en en gardant d’autres pour différents devenirs. Avec « Mon père n’est pas mort », il raconte une bonne partie d’une suite à appréhender. Une menace bienvenue, un pas en avant sans écarter la marche à reculons. Nous sommes dans le présent à forts futurs, nous sommes aux portes de soirées conjuguées au présent de l’imparfait. Quand en 2010, il jette dans la mare « Courte Vie », le réalisateur des shows de sa sœur Hanane est un créateur à surveiller, à ne pas perdre de vue. Il est le nouveau souffle d’un cinéma marocain qui se construit en silence. Il connait tout le monde et tout le monde ne le connait pas forcément. Il jouit d’un respect que ses confrères lui reconnaissent. Après des années de réflexion, Adil El Fadili embrasse en 2017 le tournage de son premier long métrage et le livre en 2023 au concours tangérois et rafle six prix, la tête aussi haute que ses aspirations. Belle noyade dans les eaux d’un art qui n’absorbe que ses semblables. Mardi dernier, à la sortie de l’avant-première de « Mon père n’est pas mort », j’entends quelqu’un demander : « Il est où le sujet ? » Ce qui pousse à croire que ce film n’est pas fait pour de gros guichets ni pour les esprits d’écoliers à l’âge passablement avancé. La tristesse fait souvent rire.