L’immense artiste s’éteint le 8 mars à 72 ans. Une voix, un charisme et une force tranquille rejoignent ainsi les cieux. Sa carrière, en dents de scie, lui confère le statut d’une chanteuse « imprévisible ». Pourtant, à chacune de ses sorties, elle fait chavirer le cœur d’un public qui en demande toujours plus. Une diva au parcours haletant.
Chez elle, chaque projet est pris à bras-le-corps. Pour preuve, la diversité des textes et des compositions qui constituent son large répertoire. Entre authenticité et innovation, Samih jongle avec dextérité : « El Behara », « Allah Aâliha Kssara », « Amri Lillah », « Jrit Ou Jarit », « Jari Ya Jari », « Tfetteh El Ward », « Ahla Soura », « Cheft El Khatem », « Aâla Ghafla », « Ghab Aâliya Lahlal »… Reconnue pour une technicité inégalée, elle marque professionnels et grand public. Pourtant, son chemin ne connaît aucune bifurcation académique. L’enfant rêve de donner de la voix, ayant contracté le virus du chant à 9 ans. L’écolière quitte son établissement au milieu des années 1960 pour une formation professionnelle. Ce qui ne l’éloigne pas de son amour premier, la musique. Plutôt l’inverse. Diplôme de coiffure en poche, elle ouvre un Salon au quartier casablancais Derb Soltane où elle pousse son premier cri en 1953. En prenant de l’âge, elle souffre d’anémie, ce qui l’oblige à se rendre fréquemment à l’étranger pour des soins pointus. Sa carrière est entrecoupée avec l’ombre menaçant de la retraite. Mais elle s’en remet et retrouve sporadiquement son public.
Pour le volet paroles, Naïma Samih se frotte à la finesse d’auteurs comme Ali Haddani, Ahmed Taïeb El Alj, Mehdi Zeriouh, Mustapha Baghdad, Tahar Sabbata, Fathallah Mghari, Badr Ben Fayçal… Quant aux compositeurs, c’est au volet qu’ils sont triés : Brahim El Alami, Mohamed Ben Abdesslam, My Ahmed Alaoui, Abdelkader Wahbi, Abdelkader Rachidi, Abdallah Issami, Abdelwahab Doukkali, Saïd Chraïbi, Abderrahim Sekkat… Une équipe de rêve pour une voix d’exception ! Naïma Samih dit plus tard : « Le jour de la diffusion de l’émission Mawahib, une guerre interne s’est déclenchée en moi à la maison, mais mon père a rapidement été convaincu de ma valeur d’artiste, d’autant plus que la chanson que j’ai chantée n’a pas été considérée comme irrespectueuse. » Dans la foulée de cette joie qui lui ouvre les portes du monde de la chanson, Naïma se lie d’amitié avec une autre protégée de Abdenbi Jirari, Samira Bensaïd qui lui rend hommage au lendemain de sa disparition à travers des propos rapportés par Bladi.net : « Aujourd’hui, j’ai perdu une amie d’enfance, une grande partie de mes souvenirs, et un visage qui a toujours rayonné de vie et de spontanéité. Naïma n’était pas seulement une voix exceptionnelle, elle était aussi une personne chaleureuse, généreuse dans ses sentiments, remplissant le monde de son rire et de son âme bienveillante. Depuis notre enfance, j’étais l’enfant turbulente et elle, la naturelle, agissant avec une rare spontanéité. Elle était très proche de moi et de ma famille et faisait partie de ma vie. Son amour restera gravé dans mon cœur. Tu es partie, mais ta présence ne disparaîtra jamais. » Les hommages se déversent telles des coulées de larmes sur les joues de millions d’admirateurs au Maroc et à travers le monde arabe.
Quelques-uns sont plus corsés que d’autres, à l’image d’un écrit de l’essayiste et ancien directeur de l’Institut supérieur d’art dramatique et d’animation culturelle, Ahmed Messaia : « Elles s’égrènent et disparaissent l’une après l’autre, les âmes mortes derrière la porte et aussitôt s’oublient, laissant derrière elles une multitude de posts, histoire de se dédouaner de l’oubli. Sous d’autres cieux, là où le moindre citoyen a la valeur d’un joyau rare, on arrête le temps et l’on célèbre les morts, on leur consacre tout de suite des émissions radiophoniques, télévisuelles, on déterre leur passé et on met en valeur leur œuvre car la transmission est le véritable ferment du progrès et de la reconnaissance. Pour qu’on n’oublie jamais. Adieu Naïma. J’avais eu l’immense plaisir de te côtoyer assez longtemps quand j’étais directeur du Festival de Rabat. Je n’oublierais jamais ta franchise et ton acharnement à défendre l’authenticité, la marocanité, quand tu t’es prise avec Laïla Ghofrane lors d’un dîner. » Naïma Samih est partie. Ainsi va la vie, ainsi la mort gagne.
Anis HAJJAM