Michel Derdevet, Vice-Président Exécutif de NAAREA: « Notre réacteur nucléaire correspond aux réalités géographiques et économiques du Maroc »

NAAREA, entreprise française à l’origine du microréacteur nucléaire innovant, XAMR, qui combine sels fondus et neutrons rapides, participe à l’African Nuclear Business Platform, qui se tient à Rabat du 22 au 24 avril. Entretien avec son Vice-Président Exécutif, Michel Derdevet, sur la technologie et les ambitions de l’entreprise.

Pourquoi avoir opté pour un réacteur à sels fondus, alors que cette technologie semble encore expérimentale, contrairement aux réacteurs à eau pressurisée ? 

Ce que vous évoquez mérite précision. En effet, les réacteurs à sels fondus sont une technologie ancienne. Aux États-Unis, des réacteurs à sels fondus ont déjà fonctionné, il y a plusieurs années, avec des brevets déposés à l’époque, nous fêterons ainsi le 1er juin prochain les 60 ans de la mise en exploitation du premier Molten Salt Reactor, à Oak Ridge National Laboratory. Il s’agit donc d’une technologie mature, qui connaît aujourd’hui des déploiements industriels dans plusieurs pays comme la Chine, la Russie ou les États-Unis. 

Des acteurs majeurs du numérique, notamment les GAFAM, sont engagés sur des projets autour de cette technologie. Ce n’est donc ni expérimental, ni hypothétique. C’est une technologie ancrée dans l’Histoire de l’industrie nucléaire, qui correspond aujourd’hui aux besoins de notre société.
 
L’alliance des sels fondus et des neutrons rapides présente, en effet, plusieurs atouts. D’abord, l’absence d’eau dans le process d’exploitation. Or, on sait que l’eau devient une ressource critique. En France, des centrales ont dû être arrêtées ces dernières années pendant des canicules estivales, car le réchauffement de l’eau rejetée menaçait la faune et la flore fluviales. Avec le sel fondu, ce risque est écarté : pas d’eau, pas de rejet gazeux dans l’atmosphère. Cela réduit fortement les risques et les contraintes environnementales.
 
Le choix technologique fait par NAAREA, en 2019-2020, permet, d’autre part, ce qu’on appelle la « fermeture du cycle ». Aujourd’hui, nous avons des déchets nucléaires à vie longue, jusqu’à 250.000 ans ; et Il est difficilement acceptable, d’un point de vue environnemental, de simplement les enfouir et de les léguer aux générations futures.
 
Avec les neutrons rapides et les sels fondus, on peut réduire cette durée de 250.000 ans à 250 ans pour la majorité de ces déchets, notamment les actinides. Cela répond à l’une des critiques majeures adressées au nucléaire : que faire des déchets ?
 
Pourquoi orientez-vous vers un petit réacteur de 40 MW, le XAMR ? 

Ce choix vient d’un constat industriel. Le président fondateur de NAAREA, Jean-Luc Alexandre, ancien dirigeant de Degrémont, a constaté que beaucoup d’industries ont besoin de 40 MW, notamment pour des usines de dessalement. Ce format permet d’avoir une production d’énergie locale, autonome, même en l’absence de réseau électrique. Le XAMR n’est donc pas une centrale nucléaire monumentale, mais une « box » décentralisée, souple, qui peut être installée par exemple sur les littoraux marocains, dans des zones isolées ou industrielles. Cela correspond très bien aux réalités géographiques et économiques du Maroc. 

La corrosion liée au sel fondu est souvent pointée du doigt. Est-ce un problème résolu ? 

Le sel peut en effet être corrosif. Mais cela nous a conduits à travailler sur des matériaux nouveaux. On s’appuie notamment sur la maîtrise du potentiel d’oxydo-réduction et sur la fabrication additive qui permet de produire des pièces sur mesure, intégrant dès la conception des matériaux innovants ayant une résistance spécifique à la corrosion saline. 

La corrosion n’est donc pas un obstacle insurmontable. En France, il existe une solide expertise sur le sujet, notamment au CEA (Commissariat à l’énergie atomique), à Saclay, et dans plusieurs universités. C’est un défi technique, mais il est maîtrisé.
 
Votre réacteur sera-t-il industrialisé, produit en série puis installé sur site ? 

Oui, exactement. L’idée est d’avoir une chaîne de production industrielle. Un site sera localisé pour fabriquer les XAMR en série. Ensuite, selon leurs besoins, les clients – industriels, collectivités – pourront en commander 1, 2 ou plus. L’installation est simple : une dalle antisismique, pas de génie civil lourd. Et surtout, ces installations sont réversibles. On peut les démonter et les relocaliser selon les besoins. C’est une approche smart, souple, décentralisée. 

NAAREA conservera-t-elle l’exploitation des réacteurs ou les cèdera-t-elle aux clients ? 

NAAREA conservera l’exploitation, la maintenance, le suivi et le démantèlement. L’objectif est de proposer une offre clé en main. Le client n’a pas à se soucier du fonctionnement. Cela garantit une maîtrise technologique complète par l’entreprise et une tranquillité d’esprit pour l’utilisateur. 

Quelle est la durée de vie d’un réacteur NAAREA ? 

On l’estime à environ 40 ans. Il y aura bien sûr des cycles d’entretien, avec retour en usine pour grande visite de maintenance. Lors de cette phase, un autre réacteur pourra être installé immédiatement. C’est un modèle souple, qui permet d’assurer une continuité de service sans rupture.

Disposez-vous déjà d’un modèle opérationnel ? 

Oui. À Paris, nous avons construit une maquette à l’échelle 1. NAAREA compte aujourd’hui 250 ingénieurs, ce qui en fait la plus grande start-up nucléaire française née après 2020. Nous avons aussi développé un jumeau numérique avec Dassault Systèmes, capable de simuler des millions d’hypothèses de fonctionnement. Cela nous permet d’avancer vite, intelligemment et de manière sécurisée. 

Nous avons également engagé un travail intense avec l’Autorité de sûreté nucléaire (ASNR) qui nous a permis d’être qualifiés pour l’étape de « pre-licensing ». Cela signifie que nos options de sûreté sont validées pour passer aux étapes suivantes. C’est le fruit d’échanges approfondis entre nos ingénieurs et les experts de l’ASNR.
 
Avez-vous défini un modèle économique compétitif par rapport aux autres SMR ou sources d’énergie ? 

Oui. Nous avons déjà une trentaine de clients qui ont signé des MOU avec nous. Le prix dépendra de l’usage : besoin d’électricité ou de chaleur haute température, ou les deux. Ce n’est donc pas un prix unique mais une offre ajustée. Ce qui nous différencie, c’est cette double capacité à produire de l’électricité et de la chaleur, ce qui élargit les cas d’usage. 

Quels usages industriels anticipez-vous en dehors du dessalement ? 

Un domaine évident, ce sont les data centers. Aux États-Unis, de nombreux géants du numérique (Google, Amazon, Meta, …) ont signé des contrats avec des fabricants de SMR pour sécuriser leur alimentation. Car, comme vous le savez, les data centers sont très énergivores, et dans de nombreuses régions, les réseaux électriques ne sont pas adaptés à cette demande. Le SMR, en tant que solution décentralisée, est donc tout indiqué. Et en plus, il permet de décarboner cette énergie. 

Est-il envisageable d’embarquer votre réacteur dans des bateaux ou avions ? 

Pour les avions, pas à ce stade. En revanche, pour le transport maritime, oui. En Russie, il existe déjà une barge équipée d’un SMR de 2×30 MWe. Nous avons beaucoup travaillé avec des armateurs et chantiers navals en France et ailleurs. Le format 40 MW est suffisant pour assurer une autonomie énergétique sur de longues distances pour les plus gros des navires civils commerciaux. 

Comptez-vous signer des partenariats au Maroc ?

C’est une perspective qui, en effet, nous intéresse au plus haut point. Et, au-delà des accords industriels, il nous semble aussi essentiel de nouer des partenariats académiques et universitaires avec les Universités du Royaume en pointe en matière nucléaire. 

Le Maroc a aujourd’hui une légitime ambition en matière de leadership nucléaire en Afrique. Dans ce sens, nous sommes prêts à accompagner cette évolution, par exemple, en accueillant des jeunes stagiaires marocains chez NAAREA, ou en mettant à disposition nos ingénieurs pour intervenir dans les cursus universitaires dispensés. C’est essentiel pour accompagner ces prochaines années le positionnement stratégique du Maroc en matière de nucléaire civil.

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