​Mobilité urbaine collective : Qui freine les bus électriques made in Maroc ? [INTÉGRAL]

Annoncé comme une rupture avec le passé, le nouveau programme de transport urbain prévoit l’acquisition de 3746 bus d’ici 2026. Un projet ambitieux, mais encore perfectible.

Talon d’Achille de la mobilité durable urbaine, les bus publics qui circulent dans plusieurs villes du Royaume ne sont pas à la hauteur des engagements nationaux, que ce soit en matière de transition énergétique et climatique ou en vue de la perspective d’organisation de la Coupe du Monde 2030. Vétusté, pollution, maintenance approximative, flottes insuffisantes pour les besoins des utilisateurs… Autant de maux qui gangrènent un secteur entier où le manque de solutions concrètes, durables et profitables pèse lourd sur la santé publique (voir article ci-contre), sans oublier les réserves nationales de devises. Le constat n’est pas secret, puisque le sujet a été débattu à maintes reprises dans l’hémicycle parlementaire. Il y a quelques semaines, le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, y annonçait la mise en place d’un nouveau programme de transport urbain par bus pour la période 2025-2029, qui serait «en rupture avec toutes les expériences précédentes».
 
Première salve

 

Ce programme, dont la mise en œuvre nécessitera un investissement de 11 milliards de dirhams, verra l’implication étroite de 37 autorités-délégataires et toutes les composantes de la gestion déléguée, et se couronnera par l’acquisition de 3746 bus. L’annonce faite par M. Laftit évoque par ailleurs un programme qui se démarquera par la séparation des fonctions d’investissement et d’exploitation, et dans lequel «l’État procède à l’achat des bus de haute gamme et prend en charge leur entretien». Les entreprises se verront confier uniquement la partie relative à la gestion à travers une nouvelle génération d’outils digitaux de suivi des contrats. «Des appels d’offres pour ce programme ont été lancés dans les villes de Fès, Marrakech, Tanger, Tétouan, Agadir et Benslimane pour l’achat de 1317 bus, dont la plupart seront mis en service avant la fin de cette année», a indiqué le ministre, précisant que l’ouverture des plis pour ces appels d’offres aura lieu le 15 mars. Les autres appels d’offres interviendront de manière progressive, avec pour objectif de mettre en service tous ces bus d’ici 2026, a ajouté M. Laftit.

 

Programme global

 

Sachant que la finalité de cette «réforme» est d’alléger les charges financières supportées par les collectivités locales tout en garantissant la continuité et l’amélioration du service public, la phase de concrétisation nécessitera la mise en place d’un partenariat entre le ministère de l’Intérieur, les collectivités territoriales et plusieurs institutions publiques et parapubliques. «Cette approche entend mutualiser les ressources et instaurer une gouvernance plus rigoureuse du secteur», souligne une source proche du dossier. Au-delà de l’acquisition des véhicules, ce programme couvre également l’exploitation des bus, l’aménagement et l’équipement des stations, l’installation de bornes intelligentes, la mise en place d’un système centralisé de gestion de la billetterie ainsi que le développement d’infrastructures d’entretien et de maintenance, sans oublier l’amélioration de l’accessibilité et l’intégration de solutions numériques destinées à fluidifier le trafic et à faciliter l’usage du transport public.
 

 

Oui, mais…

A noter que ce 11 février,lors de la conférence Inaugurale du Green Impact Expo, le ministre de l’Industrie et du Commerce, Ryad Mezzour, avait annoncé que le Royaume ambitionnait d’acquérir près de 7000 bus d’ici l’année 2030, qui connaîtra l’organisation de la Coupe du Monde au Maroc, Portugal et Espagne. M. Mezzour avait par ailleurs défendu la possibilité d’une transition verte dans le domaine de la mobilité durable, en précisant que le coût des bus à moteur thermique est le même que celui des bus électriques. Le ministre a souligné que l’avenir de la mobilité verte est prometteur pour le Maroc qui est prêt à fabriquer tous les composants des batteries électriques et qu’il sera l’un des cinq pays au monde à fabriquer des véhicules électriques «de la mine à l’usine», en référence à la disponibilité au Maroc de mines de cobalt et de phosphate, qui sont principalement utilisés dans la fabrication des batteries au lithium. Seule question à ce stade : si le Maroc a autant d’atouts, pourquoi ne privilégie-t-il pas de mettre en place un écosystème industriel de fabrication locale de bus électriques ?

 

3 questions à Hassan Sentissi, président de HDD : «La concurrence est en train de se positionner au niveau international, la fenêtre des possibilités ne restera pas ouverte éternellement»
Le Maroc s’apprête à acquérir près de 7000 bus d’ici 2030, dont une part sera manifestement électrique. Quelle est votre perspective à ce sujet ? – C’est une décision salutaire puisque notre pays a grandement besoin de renouvellement de sa flotte de bus urbains. C’est parfaitement compréhensible, d’autant plus que 2030 coïncidera avec l’organisation de la Coupe du Monde ainsi que l’arrivée à échéance d’un certain nombre de stratégies et de chantiers structurants pour le pays. Ce qui est en revanche moins compréhensible, c’est la frilosité apparente des décideurs à profiter de cette opportunité et de la dynamique de mise à niveau qui est actuellement en cours, afin de mettre en place un nouvel écosystème industriel de fabrication locale de bus électriques. Nous avons tout ce qu’il faut pour y arriver, et ce, bien avant le délai imparti.
  L’aboutissement d’un écosystème industriel de ce genre peut prendre plus de temps que prévu afin de maîtriser l’outil de production et d’augmenter suffisamment le taux d’intégration…
– Dans un autre pays que le nôtre peut-être, mais au Maroc, nous disposons de plusieurs atouts qui font qu’il serait vraiment dommage de laisser passer la présente opportunité pour mettre en œuvre notre propre écosystème industriel de fabrication locale de bus électriques. Nous avons déjà l’expérience de l’écosystème automobile, avec de la main d’œuvre qualifiée, un gisement d’énergies renouvelables significatif et des partenaires internationaux qui sont partants pour le transfert de technologie dans ce domaine. J’ai personnellement des garanties de la part de grands fabricants internationaux de bus électriques qui sont prêts à contribuer pour la réussite d’un projet de ce genre. De même, l’usine ou encore le modèle de recharge des batteries sont prêts et peuvent produire une centaine de bus électriques en quelques mois et les proposer à la vente à un prix à peine plus élevé que celui des bus thermiques…
  Qu’est-ce qui manque alors pour passer à la concrétisation ?
– Il ne sert à rien de produire s’il n y a pas une commande derrière. J’ai à diverses reprises expliqué que le projet porté par le HDD permettra de fournir le Maroc en bus électriques en moins d’une année avec un paiement différé de 2 ans. Les bus électriques que le pays compte acquérir peuvent être «Made in Morocco», pour peu que la volonté politique des décideurs soit favorable pour croire en ce projet et pour contribuer à sa concrétisation avec pas autre chose qu’une confiance que les investisseurs marocains savent et peuvent réaliser ce rêve. Malheureusement, autant notre volonté et notre vision dans ce domaine rejoignent celles de SM le Roi Mohammed VI, autant je suis incertain que la volonté politique des membres du gouvernement est à la hauteur de ce défi. J’espère me tromper, car autrement, d’ici un ou deux ans, il sera trop tard pour se rattraper. La concurrence est en train de se positionner au niveau international, la fenêtre des possibilités ne restera pas ouverte éternellement.
 

Monde : Bus électriques, une transition en marche et des expériences concluantes
L’électrification du transport public urbain s’accélère dans plusieurs régions du monde, portée par des investissements publics et privés visant à réduire la dépendance aux énergies fossiles et à améliorer la qualité de l’air en ville. Si les défis technologiques et économiques ont longtemps freiné leur adoption, les récentes avancées dans la fabrication des batteries et l’évolution des modèles d’exploitation permettent aujourd’hui d’intégrer les bus électriques dans de nombreux réseaux de transport.

En Chine, leader incontesté du secteur, plus de 99% des bus électriques mondiaux circulaient déjà dans le pays en 2017. Shenzhen, première métropole à avoir entièrement électrifié sa flotte de bus, exploite aujourd’hui plus de 16.000 véhicules électriques.

Selon plusieurs études, cette mutation a permis de réduire les émissions polluantes et de réaliser des économies sur les coûts d’exploitation liés au carburant et à la maintenance. En Europe, plusieurs grandes villes ont progressivement intégré des bus électriques dans leurs réseaux de transport public.

La France comptait environ 1.000 bus électriques en service en 2022, répartis dans 40 réseaux. Ce développement a été soutenu par des subventions publiques et des politiques locales visant à limiter l’usage des véhicules les plus polluants. L’Allemagne, quant à elle, a mis en place un programme d’incitation qui a conduit à la mise en circulation de plusieurs centaines de bus électriques. Aux États-Unis, la transition s’accélère également, avec une augmentation de 66% du nombre de bus électriques entre 2021 et 2022.

Transition énergétique : Transport public décarboné, un levier sous-exploité contre la pollution
Pour lutter contre la pollution atmosphérique, le secteur qui s’impose comme prioritaire est celui des transports. À lui seul, ce secteur totalise plus des 30% des gaz à effet de serre dont les dégâts en termes de pollution atmosphérique dévorent plus de 1% du PIB chaque année. Avec l’augmentation progressive des véhicules hybrides et électriques dans le parc national, la transition apparaît comme amorcée. C’est malheureusement sans compter avec les milliers de bus et minibus thermiques qui continuent à sillonner les routes du Royaume, à générer une pollution importante provenant de carburants fossiles qui ont été à 100% importés à coups de devise. Une situation qui aurait pu être évitée si au moins les entreprises chargées de la gestion déléguée du transport public avaient respecté le Dahir portant promulgation de la loi 54-05 dont l’article 3 stipule clairement qu’elles ont le devoir d’adapter leur service aux «évolutions technologiques» tout en assurant des prestations «dans les meilleures conditions de protection de l’environnement».

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