Mohammed Mahboub, Président de la FNBTP: « Malgré la forte demande en main-d’œuvre et la pression qu’elle engendre, les chantiers avancent à un rythme soutenu »

Avec la multiplication des chantiers, le secteur BTP tourne à plein régime. Cependant, cette effervescence a entraîné une pénurie de main-d’œuvre, alimentant une concurrence acharnée pour le recrutement et donc une inflation des salaires. Cette situation présente-t-elle un risque pour les grands projets en cours ? Réponses de Mohammed Mahboub, Président de la Fédération Nationale du Bâtiment et des Travaux Publics (FNBTP).

Considérez-vous qu’il y a une pénurie de main-d’œuvre dans le secteur du BTP au Maroc ? Quels en sont les effets (augmentation du coût de la main-d’œuvre, retard des chantiers, etc.) ?

Le secteur du BTP traverse une phase de forte sollicitation de ses ressources humaines, en raison d’une demande croissante en personnel qui dépasse progressivement l’offre disponible, créant des défis en matière de recrutement et de formation. Cette situation est directement liée à une dynamique de construction sans précédent, alimentée par plusieurs facteurs.

D’abord, les grands projets structurants lancés en prévision d’échéances sportives majeures, comme la CAN 2025 et la Coupe du Monde 2030. En parallèle, les chantiers hydrauliques d’envergure, incluant barrages, stations de dessalement et l’autoroute de l’eau, sont devenus une priorité stratégique pour garantir la sécurité hydrique du Maroc.

À cela s’ajoutent la reconstruction du Haouz après le séisme, les programmes de logement, les aménagements urbains, le développement des réseaux de transport, des lignes à grande vitesse (LGV), les infrastructures logistiques comme les ports et aéroports, etc… Ces projets ont permis d’assurer un niveau d’activité élevé, porté notamment par l’implication de notre réseau d’entreprises marocaines du BTP.

Toutefois, malgré cette forte demande en main-d’œuvre et la pression qu’elle engendre, les chantiers avancent à un rythme soutenu et dans le respect des délais.

Grâce à une mobilisation sans précédent de leurs ressources humaines, matérielles et techniques, une organisation optimisée et une rigueur dans le respect des délais de paiement, les entreprises nationales ont démontré une efficacité exemplaire, saluée par les maîtres d’ouvrage.

La réussite de l’Autoroute de l’Eau, projet stratégique livré en avance sur le délai prévu, illustre cette performance. De même, l’avancement des infrastructures sportives, qui seront achevées dans les délais impartis, confirmant ainsi la capacité de l’Entreprise Nationale du BTP à relever les défis les plus ambitieux.

Quels sont les métiers du BTP les plus touchés par cette pénurie ?

Il est difficile d’identifier avec précision les métiers les plus touchés par la pénurie, car les besoins en main-d’œuvre concernent l’ensemble de la chaîne de valeur du secteur de la construction. Toutefois, certaines tendances se dégagent.

Avec la complexification des projets, notamment ceux intégrant des innovations numériques, des approches écoresponsables, ainsi que des exigences accrues en gestion et en finance, la demande en profils qualifiés évolue et se diversifie. Par exemple, les entreprises recherchent de plus en plus des ingénieurs capables d’assumer des rôles de responsabilité, en maîtrisant non seulement les aspects techniques, mais aussi la gestion de projets et le pilotage financier.

Par ailleurs, la tension sur le marché du travail dans le secteur varie selon la localisation des chantiers et leur envergure. Les grands projets d’infrastructure et les programmes de logement nécessitent une mobilisation importante de main-d’œuvre, ce qui peut accentuer ponctuellement les difficultés de recrutement dans certaines régions.

Ce constat impose une adaptation en continu pour répondre aux exigences en perpétuelle évolution des chantiers modernes.
 Seule une dynamique d’amélioration continue, combinant formation, montée en compétences et attractivité des métiers, permettra de combler ces écarts et d’assurer la pérennité du secteur face aux défis à venir non seulement à horizon 2030 mais bien au-delà.

Quelles mesures l’État pourrait-il prendre pour remédier à cette situation ?

Cette situation impose une réponse structurée et ambitieuse, où la formation joue un rôle clé.

La formation initiale a connu des avancées notables grâce aux efforts du gouvernement, notamment à travers l’OFPPT, qui a modernisé ses centres et lancé les Cités des Métiers et des Compétences (CMC). L’Institut de Formation aux Métiers du BTP de Fès, inauguré en 2023 et géré par la FNBTP en partenariat avec le ministère de l’Équipement et de l’Eau, illustre parfaitement cette dynamique en proposant des formations de qualité adaptées aux besoins du secteur. Ce modèle, qui a rencontré un succès immédiat, mérite d’être dupliqué dans d’autres régions.

Cependant, la formation initiale seule ne suffira pas à combler le déficit en compétences. Il est essentiel de renforcer la formation continue, aujourd’hui encore insuffisante. La FNBTP milite activement pour lever les freins existants qui limitent l’accès des entreprises à ces formations, notamment en garantissant leur remboursement via les Contrats Spéciaux de Formation (CSF).

Des solutions concrètes doivent être mises en place, comme des caravanes mobiles de formation sur chantiers. L’Institut de Fès a d’ailleurs déjà intégré une structure dédiée à la formation continue, un levier essentiel pour assurer l’adaptabilité des professionnels aux évolutions du secteur.

Parallèlement, il est crucial de travailler sur l’attractivité du secteur auprès des jeunes et des professionnels en reconversion. Le BTP offre aujourd’hui de nouveaux horizons, portés par la transition vers des pratiques durables et innovantes tels que le BIM, la digitalisation et la construction écoresponsable.

Le dynamisme actuel du secteur offre une opportunité idéale pour accélérer sa mise à niveau, un axe clé du Contrat Programme signé en 2018 entre l’État, la FNBTP et la FMCI.

Cette modernisation repose sur un encadrement renforcé et des réformes adaptées, notamment pour l’amélioration du cadre réglementaire de la commande publique. Elle doit également s’accompagner d’un soutien financier accru aux entreprises, en particulier aux PME, qui peinent encore à accéder aux financements. Si le respect des délais de paiement reste essentiel, il doit être complété par des mécanismes de financement spécifiques et des solutions alternatives adaptées aux réalités du secteur.
L’enjeu est de taille : il s’agit non seulement de pallier la pénurie actuelle, mais aussi de structurer durablement le secteur pour répondre aux défis de demain.
 
Pensez-vous qu’il serait nécessaire de recourir à une main-d’œuvre étrangère, au moins temporairement, pour pallier ce problème ?

Le recours temporaire à une main-d’œuvre étrangère pourrait être une solution. Cependant, cette option ne devrait être envisagée qu’en complément d’une politique volontariste visant à former et qualifier les travailleurs marocains.
L’objectif prioritaire reste de structurer durablement le secteur en développant des talents locaux, en modernisant les formations, et en rendant les métiers du BTP plus attractifs pour les nouvelles générations.

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