Dans le cadre de la réforme du Code de la famille (Moudawana), le Conseil supérieur des Oulémas a rejeté le recours aux tests ADN pour établir la filiation des enfants nés hors mariage. Cette décision, annoncée le 24 décembre lors de la présentation des principaux axes de la réforme de la Moudawana, suscite de vives réactions au sein de la société civile marocaine.
Plus de quatre ans après cette décision qui avait secoué les milieux associatifs, l’histoire semble se répéter à plus grande échelle : le Conseil supérieur des Oulémas vient de rejeter catégoriquement le recours aux tests ADN pour établir la filiation des enfants nés hors mariage, dans le cadre de la réforme tant attendue du Code de la famille. Cette décision, annoncée le mardi 24 décembre lors de la présentation des principaux axes de la réforme de la Moudawana, a provoqué une onde de choc dans la société civile marocaine, tout en ravivant le débat sur la condition des enfants nés hors mariage et de leurs mères.
“Décevante” pour les uns, “inattendue” pour d’autres, la décision du Conseil supérieur des Oulémas de rejeter le recours aux tests ADN pour établir la filiation des enfants nés hors mariage est venue ternir les avancées contenues dans les nouvelles propositions au cœur de la réforme de la Moudawana. Sur les 17 questions soumises à l’instance constitutionnelle par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, dix ont reçu une approbation sans réserve, tandis que trois autres ont suscité des contre-propositions significatives, dont le rejet de la filiation par ADN.
Le ministre des Habous et des Affaires islamiques, Ahmed Toufiq, s’est fait le porte-parole de cette position conservatrice en invoquant des “raisons liées à la préservation de la structure familiale”. Selon lui, l’établissement de la filiation par ADN dans ces cas irait “à l’encontre de la Charia et de la Constitution”, notamment son article 32. La Commission de la fatwa argue qu’une telle reconnaissance risquerait de “désagréger l’édifice de la famille en créant un système familial alternatif”.
En guise d’alternative, une autre solution est proposée : responsabiliser les deux parents pour subvenir aux besoins de l’enfant sans établir de lien de filiation formel, permettant ainsi la préservation des droits de l’enfant tout en respectant les cadres religieux et juridiques. Une proposition contestée par les militants de la société civile sondés par «L’Opinion». “C’est une farce mal dissimulée, regrette, non sans ironie, Ghizlaine Mamouni, l’avocate et présidente de l’association Kif Mama Kif Baba. Elle manque de sérieux à plus d’un titre”.
Une ancienne ministre, sous couvert d’anonymat, rappelle que les conséquences de ce rejet sont pourtant lourdes pour les enfants concernés, les pères biologiques n’ayant, dans le système actuel, aucune responsabilité à leur égard, laissant aux mères la charge exclusive des enfants. Si certaines jurisprudences progressistes avaient tenté d’utiliser les tests ADN pour établir la responsabilité paternelle, notamment en matière de nom de famille et de pension alimentaire, “ces tentatives se sont heurtées au conservatisme débridé et téméraire de certains magistrats de la Cour de Cassation”, déplore Me Mamouni.
La décision du Conseil supérieur des Oulémas en a surpris plus d’un, d’autant plus que la composition du comité de pilotage de la réforme de la Moudawana laissait présager des avancées majeures sur cette question. Il y a d’abord la présence du ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, pour qui “les enfants issus d’une grossesse ‘illégitime’ devraient être pris en charge par leur père jusqu’à l’âge de 21, si les tests ADN prouvent la paternité”.
Le comité ad hoc comptait également dans ses rangs Amina Bouayach, présidente du Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH), dont le mémorandum relatif à la Moudawana insistait sur la protection du droit à la filiation de l’enfant. L’instance constitutionnelle considérait en effet que l’ADN doit être considéré comme “une preuve de filiation dont les frais doivent être supportés par les deniers publics, dans le cas où les mères ou les enfants n’en ont pas les moyens, considérant que la filiation est un droit de l’enfant et que l’Etat a la responsabilité de prendre les mesures nécessaires pour le protéger et garantir ses droits”. Le CNDH va jusqu’à recommander, toujours dans son mémorandum, de “supprimer toute discrimination entre l’enfant né dans le cadre du mariage et celui né en dehors”.
A rebours de ces recommandations, le rejet du Conseil supérieur des Oulémas a pris de court certains membres du comité de pilotage, convaincus que des avancées seront concédées pour le droit à la filiation, selon une source proche du dossier. Si la décision a provoqué l’ire des associatifs, plusieurs voix s’élèvent à l’approche de l’examen du texte au Parlement pour inciter les élus à rectifier le tir. “Dans la perspective du débat parlementaire, nous appelons à l’honnêteté intellectuelle et au courage politique de porter cette réforme jusqu’au bout et faire en sorte qu’elle soit marquée par le sceau de sa conformité à la Constitution de 2011, aux traités internationaux ratifiés par le Maroc et aux droits humains universels”, confie l’avocate Ghizlaine Mamouni. Car, poursuit-elle, “nous sommes à un moment décisif de l’Histoire de notre pays et le monde entier nous regarde. Cette réforme est une opportunité de réparer les injustices du passé et de bâtir un Maroc qui regarde sans peur vers l’avenir”.
– Le ministre Ahmed Toufiq propose comme alternative de « responsabiliser les deux parents » pour subvenir aux besoins de l’enfant, mais sans établir de lien de filiation formel. Cette solution vous paraît-elle satisfaisante d’un point de vue juridique et en termes de protection des droits de l’enfant ?
La soi-disant alternative proposée par le ministre des Habous manque de sérieux à plus d’un titre. Comment compte-t-il, sans test ADN, obliger des pères à subvenir aux besoins de leurs enfants alors que, par définition, ils refusent de reconnaître ces enfants ? C’est une farce mal dissimulée.
Face à ce blocage institutionnel, quelles stratégies juridiques et militantes peuvent être envisagées pour faire avancer la reconnaissance des droits des enfants nés hors mariage, tout en tenant compte du contexte socioculturel marocain ?