Le notariat marocain fête 100 ans d’histoire, entre héritage ancestral et défis d’un monde juridique en mutation. Mais encore ?
«Ce centenaire ne doit pas passer inaperçu. Il nous rappelle les avancées que notre Royaume a réalisées en matière de sécurité juridique, de modernisation institutionnelle et de consolidation de l’État de droit. Il témoigne également de la place centrale qu’occupe le notariat dans la protection des citoyens, la préservation du patrimoine, et l’édification d’une société fondée sur la confiance, la transparence et la légalité». Ces mots pétris d’optimisme sont d’Abdellatif Ouahbi, ministre de la Justice, lors de l’ouverture d’une rencontre célébrée par le Conseil National de l’Ordre des Notaires du Maroc (CNONM).
En effet, à l’occasion de ce centenaire, le CNONM a organisé, les 13 et 14 mai courant à Rabat, un colloque scientifique d’envergure. Placé sous la devise évocatrice «100 ans du Notariat… L’encre qui préserve les droits, et le sceau qui bâtit la confiance pour l’avenir», cet événement a su rendre hommage à un riche héritage et regard prospectif, en plus d’avoir offert un forum de réflexion approfondie sur les défis actuels et les transformations auxquelles la profession notariale est confrontée, au cœur d’un monde en perpétuel changement.
L’Histoire du notariat marocain ne commence pas avec les lois modernes, car elle plonge ses racines dans des siècles de pratique juridique, où les adouls, les hommes de loi et les scripteurs de l’époque garantissaient déjà l’authenticité des actes, la préservation des droits et la légitimité des engagements. En 1925, une volonté d’organisation et de codification donne naissance à un notariat structuré, inspiré du modèle latin, doté de prérogatives spécifiques et investi d’une mission publique.
Durant ce siècle d’existence, la profession notariale n’a cessé d’accompagner l’évolution du pays. De la période du Protectorat à l’Indépendance, du droit coutumier au droit codifié, du parchemin au document numérique, les notaires marocains ont su conjuguer fidélité à la tradition et adaptation au changement. Ils ont été les témoins silencieux de la mutation des pratiques économiques, de la montée en puissance du droit immobilier, du développement des investissements étrangers et de la diversification des formes juridiques.
C’est cette histoire, riche et souvent méconnue, que le colloque entend mettre en lumière. Pendant deux jours, chercheurs, magistrats, notaires, universitaires et experts en droit débattront de la place du notariat dans le paysage juridique marocain, de ses fonctions dans la sécurisation des transactions, mais aussi des défis posés par la transformation numérique et l’intelligence artificielle. Le notariat n’est pas un simple gardien de la forme : il est un acteur de la paix sociale, un garant de la sécurité juridique, un maillon essentiel de l’économie contractuelle.
Au-delà des conférences, une exposition exceptionnelle viendra retracer la mémoire de la profession. Des manuscrits anciens, des registres d’archives, des photographies rares et des objets symboliques rappelleront l’empreinte du notaire dans la vie quotidienne des Marocains. La présence de délégations africaines soulignera par ailleurs l’ancrage continental du notariat marocain, souvent cité comme modèle dans la région.
Le rôle du CNONM
À l’origine de cette initiative, le Conseil National de l’Ordre des Notaires du Maroc joue un rôle central dans la profession. Héritier de cette tradition centenaire, il veille à la formation des notaires, à la discipline professionnelle, à la promotion de la sécurité juridique et à l’accompagnement des réformes législatives. Son action dépasse le seul cadre corporatif : il s’inscrit dans une dynamique de service public, en lien constant avec les autorités, les institutions et les citoyens.
Selon les mots du ministre délégué chargé du Budget, Fouzi Lekjaâ, également présent lors de cet événement, «le monde change, les contrats évoluent et les technologies n’ont de cesse de redessiner les contours du droit. Mais une chose demeure : le besoin de confiance. Et c’est précisément cette confiance, construite sur un siècle d’éthique, de rigueur et de service, que le notariat marocain entend continuer à offrir aux générations futures».
Cette célébration centenaire incarne, somme toute, une reconnaissance de la valeur fondamentale du notariat dans la construction d’un État de droit moderne et dans le développement économique et social du Maroc. En honorant le passé et en se projetant dans l’avenir, ce corps affirme son engagement à accompagner les mutations juridiques et sociétales avec innovation et intégrité, afin de préserver les droits de tous et de consolider la confiance collective indispensable à la stabilité et à la prospérité du pays.
Dans le cadre du centenaire du notariat marocain, l’événement scientifique organisé à Rabat les 13 et 14 mai courant par le Conseil national de l’Ordre des notaires, en partenariat avec le ministère de la Justice, a rassemblé plus de 500 participants, dont des notaires, des magistrats, des chercheurs, des responsables publics et des experts, et ce, autour des grands enjeux de la profession.
Ce rendez-vous a été marqué par la présence du ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, qui a souligné l’importance stratégique du notaire dans la transition numérique du système juridique marocain. Il a mis en garde contre la recrudescence des cyberattaques visant les données sensibles du secteur, et insisté sur l’urgence d’adapter la profession à ces nouveaux enjeux. Une réforme de la loi 32.09 est d’ailleurs en phase avancée : elle vise notamment à faciliter la dématérialisation des actes, à réviser la grille des honoraires fixée par décret, et à introduire un nouveau modèle de formation via un institut national qui ouvrira ses portes en 2026.
De son côté, Mounir El Mountassir Billah, secrétaire général du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, a rappelé que les 1.836 notaires en exercice avaient rédigé 425.000 actes en 2025, générant plus de 10 milliards de dirhams pour les finances publiques. Il a salué leur rôle central dans la sécurisation juridique des transactions, essentielle à la stabilité économique.
Enfin, Hicham Sabiry, ancien président du Conseil national de l’Ordre et actuel secrétaire d’État auprès du ministre de l’Inclusion économique, de la Petite entreprise, de l’Emploi et des Compétences, chargé de l’Emploi, a dressé une feuille de route ambitieuse : garantir une digitalisation maîtrisée, renforcer la lutte contre la fraude, harmoniser les conditions d’accès à la profession et asseoir le notaire comme acteur clé de la confiance contractuelle.
Entre fidélité à ses racines et engagement vers l’avenir, le notariat marocain entame son second siècle avec responsabilité, modernité et ambition.
Avant l’instauration du notariat moderne au Maroc en 1925, la sécurisation des actes juridiques et la garantie des droits reposaient sur des pratiques anciennes, profondément ancrées dans la tradition islamique et les coutumes locales. Le pays ne disposait pas d’un système notarial codifié à la manière occidentale, mais il existait une organisation juridique traditionnelle, fondée sur des acteurs et des institutions spécifiques, notamment les adouls, les qadis, et les pratiques coutumières.
Les adouls occupaient une place centrale dans le paysage juridique marocain. Ces officiers publics, proches du cadre religieux, étaient chargés de la rédaction et de l’authentification des actes juridiques, comme les contrats de vente, les donations, les successions ou les accords commerciaux. Leur rôle était essentiel : ils garantissaient la validité formelle des engagements en apposant leur signature et leur sceau, attestant ainsi de l’authenticité des documents. Cette fonction était fondée sur la confiance sociale et la reconnaissance de leur compétence religieuse et juridique.
À côté des adouls, les qadis jouaient un rôle judiciaire important. En tant que juges de la loi islamique (charia), ils tranchent les litiges, interprètent les textes religieux et assurent la justice dans les affaires civiles et pénales. Le système judiciaire traditionnel marocain s’appuyait sur une double source : la charia, d’une part, et le droit coutumier («‘urf»), d’autre part. Ce droit coutumier variait selon les régions et les tribus, et régulait notamment les relations sociales et économiques dans un cadre plus souple et adapté aux réalités locales.
Ce mélange de droit religieux et coutumier formait la trame juridique du Maroc avant le Protectorat. Il reposait largement sur la confiance interpersonnelle et les liens communautaires, ainsi que sur des pratiques orales et manuscrites. La rédaction des actes n’était pas toujours standardisée, et l’authenticité des documents dépendait souvent de la reconnaissance sociale des acteurs impliqués. La sécurité juridique telle qu’on la conçoit aujourd’hui n’était donc pas assurée de manière uniforme et systématique.
En outre, la société marocaine était majoritairement rurale et tribale, ce qui renforçait l’importance des structures communautaires pour la régulation des relations juridiques. Les chefs de tribus ou les notables locaux avaient souvent un rôle de médiateurs et d’arbitres, veillant à la bonne application des règles coutumières. Ce système participait à la paix sociale, même s’il pouvait manquer de formalisation et d’uniformité.
L’arrivée du Protectorat français au début du XXème siècle a profondément transformé ce paysage. La nécessité d’instaurer un cadre juridique stable et moderne, capable d’accompagner le développement économique et les interactions internationales, a conduit à la création du notariat moderne, inspiré du modèle civiliste européen. Cette réforme a permis de formaliser, codifier et professionnaliser la fonction notariale, en harmonie avec les spécificités locales.
Ainsi, avant l’instauration du notariat moderne, le Maroc reposait sur un système juridique pluraliste, mêlant droit religieux, coutumes et pratiques locales, où les adouls jouaient un rôle clé. Ce système, fondé sur la confiance et la tradition, a constitué le socle historique sur lequel le notariat marocain s’est construit, en évoluant vers plus de rigueur et de sécurité juridique.
Le notariat, pilier de la sécurité juridique, revêt des formes diverses selon les pays, oscillant entre héritages historiques et mutations contemporaines.
En France, le notariat moderne trouve ses racines dans le droit romain et s’est institutionnalisé sous Napoléon. Officiers publics délégataires de l’État, les notaires français ont un rôle central dans l’authentification des actes. Leur statut reste stable, malgré une adaptation numérique accélérée.
En Égypte, le notariat est marqué par un dualisme : les actes authentiques relèvent du notaire public rattaché au ministère de la Justice, tandis que les actes privés sont souvent confiés à des avocats. Ce système, hérité du droit ottoman et enrichi par l’influence française, connaît aujourd’hui des efforts de modernisation.
En Turquie, le notariat est organisé depuis 1926 selon un modèle proche du système latin. Les notaires y exercent sous la tutelle du ministère de la Justice. Leur rôle est de conférer une valeur authentique aux actes, tout en répondant aux exigences d’une société en pleine évolution.
En Chine, le notariat, d’origine impériale, a été aboli après 1949 avec l’instauration du régime communiste, qui rejetait les institutions juridiques «bourgeoises». Ce n’est qu’à partir des réformes économiques des années 1980 qu’il renaît, dans une logique de sécurité contractuelle. Les notaires chinois, bien qu’investis de fonctions d’authentification, n’ont pas le même statut que leurs homologues latins.
Aux États-Unis, le notaire public joue un rôle très limité. Il s’agit souvent d’un simple témoin légal d’identités, sans pouvoir d’authentification pleine. Les actes à valeur probante sont généralement produits par des avocats.
Ainsi, si le notariat incarne partout la sécurité juridique, son périmètre varie selon les traditions et les régimes politiques. Entre continuité historique et adaptation aux enjeux contemporains, il demeure un acteur essentiel du droit, reflet de la diversité des cultures juridiques mondiales.
À l’ère de la transformation numérique et de la mondialisation, le notariat est confronté à des défis techniques, institutionnels et sociaux. La digitalisation des procédures, via la signature électronique et l’archivage dématérialisé, améliore l’efficacité mais soulève des questions de fiabilité, d’interopérabilité et de protection des données.
La mondialisation des échanges accroît la complexité : transactions immobilières transfrontalières, successions internationales et mariages mixtes exigent une coordination entre notaires de juridictions étrangères aux règles variées. La coopération internationale, par le biais de conventions et de réseaux professionnels, est indispensable pour garantir la reconnaissance des actes authentiques et sécuriser les opérations.
L’accessibilité aux services notariaux reste inégale, surtout dans les zones rurales ou défavorisées, ce qui pose un enjeu social majeur dans l’accompagnement juridique des citoyens.
La formation continue doit intégrer le droit fiscal, les nouvelles technologies et la médiation pour répondre aux attentes croissantes des clients et aux mutations économiques. Parallèlement, la déontologie et la transparence sont plus que jamais scrutées, poussant les notaires à renforcer la lutte contre le blanchiment et à garantir leur indépendance. En outre, l’enjeu réglementaire se complexifie avec l’apparition de nouveaux cadres législatifs, tels que la directive eIDAS en Europe ou des normes de cyber-sécurité dans plusieurs pays.
Face à ces défis, le notariat devrait allier tradition et innovation, préserver son rôle de tiers de confiance et adopter les outils de demain pour maintenir sa pertinence au service du public et du droit.