Santé publique : Premiers jalons d’une stratégie nationale pour la santé mentale

Face à l’augmentation des cas de troubles psy- chiques et aux inégalités d’accès aux soins, le Maroc amorce un tournant décisif dans sa politique de santé publique. Le ministre de la Santé, Amine Tahraoui, a annoncé mardi une réforme ambitieuse de la santé mentale et du capital humain afin de faire de 2030 une année pivot pour une couverture sanitaire plus équitable et un système de santé plus performant. De la formation des professionnels à l’extension des services psychiatriques, en passant par la révision des protocoles thérapeutiques, le Royaume entend réconcilier progrès médical et justice sociale, en intégrant pleinement la santé mentale dans ses priorités nationales.

Le Maroc entame une mutation profonde de son système de santé. À la Chambre des Conseillers, mardi 29 avril 2025, le ministre de la Santé et de la Protection sociale, Amine Tahraoui, a levé le voile sur deux chantiers essentiels à l’horizon 2030 : d’une part, la refonte du dispositif de santé mentale, longtemps relégué au second plan ; d’autre part, la redynamisation du capital humain du secteur, condition sine qua non d’une couverture sanitaire équitable et efficace. Ces annonces marquent un tournant stratégique dans la politique de santé publique du Royaume.

Le ministère de la Santé se prépare à déployer un programme national de santé mentale et psychique à l’échelle du territoire. Cette initiative, qui répond à ce que le ministre qualifie de «prise de conscience des défis structurels», vise à corriger les déséquilibres d’un secteur souffrant de sous-financement chronique, de pénurie de personnel qualifié et d’un cadre législatif désuet.

Dès mai 2025, des réunions techniques, placées sous la supervision directe d’Amine Tahraoui, viendront poser les fondations de cette stratégie. Celle-ci s’inscrit dans un mouvement mondial de reconnaissance des troubles mentaux comme enjeu de santé publique majeur, aux conséquences durables sur la qualité de vie, la cohésion sociale et la productivité nationale.
 

Un déficit alarmant de spécialistes
 
Le diagnostic dressé par le ministère est sans appel : le pays manque cruellement de professionnels en santé mentale. En 2025, le Maroc ne compte que 319 psychiatres dans le secteur public et 274 dans le privé. Les pédopsychiatres sont encore plus rares : 62 dans les établissements publics, contre 14 dans le secteur privé. À cela s’ajoutent 1.700 infirmiers spécialisés en psychiatrie, principalement dans le secteur public.

Pour répondre à cette carence, 123 nouveaux postes budgétaires ont été créés entre 2024 et 2025, dont 34 pour les psychiatres et 89 pour les infirmiers spécialisés. Mais au-delà du recrutement, le ministère mise sur une réforme structurelle de la formation. Il prévoit d’augmenter les capacités des Instituts supérieurs des professions infirmières et techniques de santé (ISPITS) et de renforcer les passerelles avec les Universités afin de développer la recherche appliquée en santé mentale.

Le Plan stratégique national multisectoriel de santé mentale 2030 prévoit une restructuration complète de l’offre de soins psychiatriques : généralisation des services spécialisés dans les hôpitaux publics, création d’unités de consultation externe, déploiement d’équipes mobiles pour les urgences psychosociales, et mise en place de dispositifs de réhabilitation sociale.

Ces actions s’accompagneront d’une actualisation des protocoles thérapeutiques et d’une adaptation aux réalités épidémiologiques du pays. Surtout, le ministère entend revoir le cadre législatif relatif à la santé mentale, afin d’encadrer l’hospitalisation, garantir les droits des patients et intégrer les standards internationaux en matière de respect de la dignité humaine.
 

Tripler le personnel soignant d’ici 2030
 
En parallèle, la réforme de la ressource humaine dans le secteur de la santé s’impose comme une priorité transversale. Objectif annoncé par le ministre : passer de 17,4 à 45 professionnels de santé pour 10.000 habitants d’ici 2030, en conformité avec les recommandations de l’OMS. Pour y parvenir, le Maroc s’appuie sur un accord-cadre signé en 2022 avec le ministère de l’Enseignement supérieur et celui de l’Économie, soutenu par une enveloppe de plus de 3 milliards de dirhams.

Entre 2022 et 2024, le nombre de places en licence des professions de santé a bondi de 206%, atteignant 8.360, avec un objectif de 11.900 en 2029. Le cycle de master, quant à lui, a progressé de 353%, totalisant 680 places.

Le maillage territorial de la formation a été renforcé par l’ouverture de nouveaux ISPITS à Tanger, Guelmim, Dakhla et Zagora, et par la création de trois Facultés de médecine à Errachidia, Béni Mellal et Guelmim, couplées à trois CHU régionaux, qui contribueront à la formation et à la prestation de soins de proximité.
 

Une répartition équitable et ciblée des effectifs
 
Le nombre de postes budgétaires alloués aux cadres de santé est passé de 4.000 en 2019 à 6.500 prévus pour 2025, dont 60% pour les infirmiers et techniciens. Une gouvernance régionale a été instaurée : depuis 2020, les directions régionales peuvent organiser leurs propres concours de recrutement, garantissant une meilleure réactivité aux besoins locaux.

En termes de déploiement, 1.837 nouveaux médecins spécialistes auront été affectés entre 2022 et 2025. En 2025 seulement, 446 médecins rejoindront le système, suivis de 566 autres répartis dans des zones à forte pénurie comme Al Hoceïma, Azilal, Boujdour et Tinghir.

Le chantier de la généralisation de la couverture maladie avance. Fin 2024, 88% de la population marocaine bénéficie d’un régime d’assurance maladie, notamment grâce à l’affiliation de 3,8 millions de travailleurs indépendants à la CNSS. Une campagne nationale a accompagné cette dynamique, axée sur la sensibilisation à l’adhésion et au paiement régulier des cotisations.

Mais pour garantir la durabilité de cette couverture, le ministre insiste sur la nécessité de restaurer la confiance dans les services publics, améliorer la qualité des soins et assurer un financement pérenne, reposant à la fois sur les cotisations et sur la solidarité nationale à travers la prise en charge des populations vulnérables.

Le ministère mise enfin sur la création de groupements sanitaires territoriaux, véritables structures déconcentrées chargées de coordonner les politiques de santé au niveau régional. Une nouvelle cartographie sanitaire est en cours d’élaboration, fondée sur les besoins spécifiques de chaque région et destinée à rationaliser la distribution des équipements, du personnel et des services.
 

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