Transition énergétique : Face aux canicules, faut-il repenser la climatisation ? [INTÉGRAL]

Les pics de consommation électrique, liés à des canicules récurrentes et toujours plus intenses, obligent à repenser en profondeur la politique nationale en matière de climatisation.

L’année 2024 a été la plus chaude jamais enregistrée au Maroc, selon l’annonce faite par la Direction générale de la météorologie le 20 juin dernier à Rabat, lors de la présentation du rapport «État du Climat au Maroc en 2024». L’institution évoque une anomalie thermique nationale de +1,49 °C par rapport à la moyenne de référence 1991-2020, soit plus du double de celle observée à l’échelle mondiale. Les premières semaines de l’été 2025 confirment cette trajectoire inquiétante, avec des vagues de chaleur précoces et intenses. Le 30 juin, au cœur de cet épisode caniculaire, le Maroc a franchi un seuil inédit avec une pointe de consommation électrique de 7.940 MW, selon une source interne à l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE), citée par le360. ma. Ce pic dépasse de 320 MW celui enregistré onze jours plus tôt, et de 380 MW le précédent sommet mesuré fin juillet 2024 (7.560 MW), témoignant d’une pression croissante sur le réseau lors des périodes de chaleur extrême.
 
Efficacité énergétique
En effet, l’Agence marocaine pour l’efficacité énergétique (AMEE) souligne dans son «Guide technique pour le chauffage, la ventilation et la climatisation» que «les usages thermiques (chauffage, climatisation, eau chaude) représentent plus de 60% de la consommation d’électricité dans les logements». Ce constat éclaire le lien direct entre vagues de chaleur et tensions sur le réseau électrique. Lorsqu’en pleine nuit, les températures dépassent les 35 °C, les climatiseurs tournent parfois en continu. Or, selon l’AMEE, «le marché est dominé par des appareils d’entrée de gamme, à faible efficacité énergétique», souvent acquis sans considération de leur performance. Le guide note aussi que «l’absence d’isolation thermique engendre une forte sensibilité aux variations climatiques», ce qui renforce les besoins en climatisation. Dans ce contexte, chaque pic de chaleur aggrave la dépendance énergétique des ménages. Face à la multiplication attendue des canicules, c’est l’ensemble du modèle de recours à la climatisation qu’il faut aujourd’hui repenser.
 
Bonnes pratiques
Ce modèle, plus soutenable, reposerait idéalement et avant tout sur une consommation électrique sobre et maîtrisée. Il suppose la généralisation d’équipements performants, labellisés selon des critères d’efficacité énergétique rigoureux. L’AMEE insiste à ce titre sur l’importance d’un «choix d’appareils adaptés à la taille des pièces, dotés de systèmes Inverter et affichant un bon coefficient de performance». Mais la performance technique ne suffit pas. Un modèle responsable implique aussi le recours à des fluides frigorigènes moins nocifs pour l’environnement. Les climatiseurs utilisant des gaz à fort potentiel de réchauffement global, comme le R-410A, devraient progressivement être remplacés par des technologies plus récentes, telles que le R-32 ou les solutions naturelles (R-290, R-744). Le confort thermique passe également par des stratégies passives : isolation, ventilation naturelle, orientation des ouvertures. Une climatisation durable ne se limite pas aux machines : elle s’intègre dans une approche globale de l’habitat.
 
Made in Morocco ?
Face à cette montée en puissance de la demande, la question d’un approvisionnement maîtrisé et adapté se pose avec acuité. Aujourd’hui, la quasi-totalité des climatiseurs vendus au Maroc sont importés, parfois à bas prix, souvent peu durables, et difficilement réparables. Une telle dépendance expose le pays à des hausses de coûts, des ruptures de chaîne logistique et un manque de contrôle sur les performances énergétiques des équipements. Pourtant, le développement d’une filière locale de fabrication ou d’assemblage constituerait un levier stratégique. En plus de réduire les sorties de devises, il permettrait de créer des emplois qualifiés, de structurer un écosystème industriel national et de favoriser l’émergence de savoir-faire locaux. Cela offrirait aussi l’opportunité de mieux encadrer les standards environnementaux, notamment en imposant des technologies sobres et des fluides à faible impact climatique. Face à l’inéluctable multiplication des canicules, investir dans une industrie marocaine du confort thermique n’est pas un luxe, mais une nécessité.

3 questions à Saâd-Eddine Tazi : « L’efficacité énergétique doit d’abord passer par les constructions elles-mêmes à travers de bonnes conception et orientation »
Le Maroc est-il sur la bonne voie pour répondre aux enjeux d’efficacité énergétique dans le secteur de la climatisation ?

Ce sujet comporte deux dimensions complémentaires. L’efficacité énergétique doit d’abord passer par les constructions elles-mêmes à travers de bonnes conception et orientation, mais aussi à travers la qualité et la nature des matériaux qui sont utilisés pour leur édification. C’est un premier préalable qui permet de garantir que la construction limite les déperditions de chaleur et/ou apports solaires, ce qui contribue à la chauffer ou à la refroidir facilement et durablement. Le Royaume est actuellement en train d’avancer dans ce domaine, notamment à travers la charte de l’efficacité énergétique. La deuxième dimension est celle des équipements de climatisation qui doivent être correctement dimensionnés et peu énergivores. Cet aspect peut être assuré en veillant à ce que les équipements soient catégorisés et étiquetés selon leur performance.
 

Quelles démarches ont été entreprises pour réduire et éliminer les hydro-chloro-fluoro-carbures (HCFC) conformément au protocole de Montréal ?

Le Royaume a toujours été un bon élève lorsqu’il s’agit de respecter les engagements internationaux qu’il a ratifiés. C’est également le cas concernant l’élimination des HCFC dont l’utilisation est en baisse continuelle au niveau national. Je pense que nous pourrons atteindre l’objectif d’élimination que nous nous sommes fixés puisqu’il existe des quotas à l’importation qui agissent comme un outil efficace de réduction progressive du HCFC. 
 

Des initiatives existent-elles pour créer une filière nationale dédiée à la récupération des fluides frigorigènes ?

C’est en effet un défi que les professionnels ont toujours été disposés à relever. D’ailleurs, la récupération des fluides frigorigènes concerne l’ensemble de la filière du froid et non seulement le segment de la climatisation. Il y a quelques années, des fonds ont été alloués dans le cadre d’un projet avec l’AFD afin de mettre en œuvre des solutions de récupération et de stockage de ces fluides avec la contribution notamment du Centre Marocain de Production Propre. Malheureusement, cette expérience n’a pas vraiment pu aboutir parce que la chaîne de valeur de récupération n’a pas pu être bouclée en l’absence de solution de traitement des fluides à collecter. En attendant de trouver ces solutions (que ce soit au Maroc ou à l’étranger), il est prioritaire à mon avis de garantir que les personnes qui installent ou maintiennent des climatiseurs soient réellement qualifiées à la manipulation des gaz frigorifiques, qu’elles puissent assurer la mobilisation des équipements nécessaires et le respect des bonnes pratiques et des normes qui doivent être en vigueur afin de limiter les risques potentiellement néfastes de fuites de gaz frigorigènes.

Climatiseurs au Maroc : Entre diversité des modèles et capacités réelles de refroidissement
Selon le «Guide technique pour le chauffage, la ventilation et la climatisation» de l’Agence marocaine pour l’efficacité énergétique (AMEE), plus d’une vingtaine de marques de climatiseurs sont commercialisées au Maroc, présentant des performances frigorifiques contrastées ainsi que des qualités et des durées de vie variables. Les grandes surfaces proposent une large gamme d’équipements, avec des puissances frigorifiques les plus vendues allant de 2,64 kWf (kilowatt frigorifique, unité de mesure de la puissance de refroidissement) à 7 kWf, soit entre 9.000 et 24.000 Btu. A noter que 1 kWf équivaut environ à 3.412 Btu (ou British thermal unit), qui est pour sa part une unité mesurant la quantité d’énergie nécessaire pour augmenter la température d’une livre d’eau d’un degré Fahrenheit. En climatisation, il indique la capacité d’un appareil à extraire la chaleur d’un espace, autrement dit à le refroidir. Un climatiseur de 9.000 Btu convient à une pièce de taille moyenne, tandis que 24.000 Btu est adapté à des espaces plus vastes.

Étiquetage énergétique : Le Maroc engage sa transition vers des équipements plus sobres
Depuis le 12 mars 2025, le Maroc connait l’application d’une nouvelle réglementation exigeant que tous les climatiseurs et réfrigérateurs commercialisés portent une étiquette énergétique obligatoire. Cette mesure s’inscrit dans la stratégie nationale de transition énergétique et vise à orienter les consommateurs vers des choix plus responsables, favorisant des appareils économes en énergie et respectueux de l’environnement. Cette initiative découle d’arrêtés publiés dans le Bulletin Officiel du 12 septembre 2024, fixant des seuils minimaux de performance énergétique. Elle cible en priorité les équipements énergivores, dans un secteur du bâtiment qui représente près d’un tiers de la demande énergétique nationale, afin d’obtenir des économies significatives. L’étiquetage énergétique ne se limite pas à un simple affichage : il joue un rôle pédagogique pour sensibiliser les utilisateurs à leur impact environnemental et à leur facture d’électricité. En privilégiant des équipements performants, les ménages réduisent leur consommation, allègent leurs dépenses et contribuent à limiter la dépendance énergétique du pays. L’application des nouvelles normes se fera progressivement, en deux phases étalées sur plusieurs années, offrant le temps aux fabricants et distributeurs de s’adapter. Avec cette réglementation, le Maroc confirme son engagement vers un modèle énergétique durable, même si son succès dépendra de l’adoption réelle par les consommateurs et des impacts à long terme sur l’environnement et l’économie domestique.

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